Téléfilms, génériques, décors de plateaux, publicités… La télé offre de l’art une image pervertie et appauvrie. En s’en inspirant insidieusement.
Vendredi 2 janvier, 20 h 45, sur Arte, vision caricaturale, outrée et spécialement ignare de l’artiste dans Amours ambiguës, un téléfilm allemand réalisé en 1997. On y voit l’une des deux héroïnes en plein trip pictural, barbouillant sauvagement une toile pour libérer on ne sait trop quelle inspiration mystique dans un brouet brunâtre qu’exprime une large brosse. Dans son élan, elle ira jusqu’à ôter la toile du chevalet pour la poser au sol, émouvant hommage à Jackson Pollock, se livrant à un fascinant corps-à-corps avec sa création. Trois jours plus tôt, Sophie Fontanel présente une installation à Tout va bien, sur Canal+, et précise : « Une installation, vous ne savez pas ce que c’est, Jérôme ? C’est ce qu’on voit dans les musées et on trouve ça un peu grotesque.« Réflexion audacieuse qui passe dans l’indifférence. Même Guillaume Durand, à qui l’art contemporain est ce que la potion magique est à Obélix, lorsqu’il invite Nan Goldin, prend soin de rassurer le téléspectateur en lui servant aussi John McEnroe, grande caution tennistique désormais heureux papa d’une galerie d’art.
On serait tenté d’en conclure que l’art à la télé, c’est pas pour l’an 2000. Et on aurait tort. Du plateau des Z’amours littéralement usurpé à Roy Lichtenstein au logo de Du fer dans les épinards librement adapté de la boîte de Campbell soup de Warhol, c’est par ricochets insidieux que l’art occupe l’écran. « Cet artiste capture les éclairs pour en faire des sculptures », annonce la publicité pour le nouveau moteur de l’Opel Vectra. De quoi s’agit-il ? Du Lightning field de Walter de Maria dans le désert ? Presque. Et la nouvelle Renault Scenic a-t-elle l’insigne privilège d’être vantée dans son spot télé par rien moins que Gilbert et George ? Presque. Juste des « à la manière de », raccords du costard aux lunettes, que des publicitaires piteux et à court ont piqués récemment à l’exposition de l’ARC et télétransportés façon Spock vers l’entreprise télé.
Ainsi, les modèles inventés par les artistes rebondissent-ils un jour ou l’autre dans l’écran télé, sous une forme appauvrie, réinterprétée, perpétuant une ancestrale tradition de pervertissement des motifs iconographiques dans la circulation démocratique des images, vérifiable depuis la poterie sumérienne jusqu’aux gravures modernes, aboutissant à un vocabulaire autonome, hybride et proliférant. Les oeuvres d’art sautillent sur l’écran sous des formes nouvelles, vaguement sidérantes, ne gardant de leur génie initial qu’une enveloppe vide. C’est précisément pourquoi l’artiste à la télévision est toujours évoqué selon sa représentation dix-neuviémiste de romantique un peu foldingue. En « cryogénisant » l’image de l’artiste à une époque où la télévision n’existait pas, celle-ci s’assure du confort d’une immense banque de données dans laquelle venir régénérer ses petites créatures colonisatrices : publicités, génériques… Ainsi le bon peuple ne peut-il que saluer l’infinie inventivité du petit écran, et ignorer superbement l’art contemporain, qui n’est jamais aussi « sympa ».
Eric Troncy
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