Leurs zigzags mélodiques et leur esprit pétillant manquaient cruellement à la pop anglaise. Les lads de The Coral reviennent avec un huitième album rock et fougueux. Reportage à Liverpool.
Depuis Liverpool, un train traverse l’estuaire de la Mersey pour faire le tour de la péninsule de Wirral. Ce petit rectangle de terre inexplicablement fertile pour la pop anglaise a vu grandir John Peel, Elvis Costello, Orchestral Manoeuvres In The Dark, Half Man Half Biscuit, The Boo Radleys ou Miles Kane.
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On descend à Hoylake, petite ville côtière à l’extrémité nord-ouest de la péninsule et fief des membres de The Coral. Avec son sourire de gamin et sa démarche jambes écartées façon Ian Brown – le fameux simian walk des garçons du Nord, comme encombrés de leurs bollocks –, on repère sans problème James Skelly.
“Cet écho, ça nous vient de la mer”
Le chanteur et leader nous emmène au quartier général du groupe. Après un escalier aux murs tapissés de leurs visuels et de posters de leurs héros, on pénètre dans leur tanière – un espace qui leur sert à la fois de studio, de local de répétition, de réserve d’instruments, de délire de déco et de lieu de détente. Avec pour unique voisin un garage de réparation de voitures, ils peuvent jouer aussi souvent et aussi fort qu’ils le souhaitent.
De toute évidence, ils en ont tiré profit sur leur nouvel album, Distance Inbetween, de loin l’œuvre la plus rock et explosive de toute leur carrière. “On voulait avoir un son lourd sur ce nouvel album, tout en restant fidèles à nous-mêmes, en gardant les échos étranges qui ont toujours défini la musique de The Coral, explique James. Cet écho, ça nous vient de la mer, du bruit des bateaux qui s’entrechoquent, de la façon dont la voix résonne face au large, des fantômes qu’on croise sur la plage la nuit. A chaque fois que je vais dans une vieille ville, je m’intéresse toujours plus à ressentir ce qu’elle a été, aux fantasmes et aux spectres du passé, plutôt qu’à ce qu’elle est devenue aujourd’hui.”
La mer d’Irlande à marée basse s’étire à perte de vue
Pour profiter du soleil radieux, on part en direction de la plage et de ses fantômes avec toute la troupe. En chemin, on passe prendre chez lui le bassiste, Paul Duffy, qui a visiblement loupé le réveil et accepte sans broncher les taquineries. On passe la voie ferrée et les mauvaises herbes pour déboucher sur une vision à couper le souffle, et pas seulement à cause des rafales de vent : en panoramique, la mer d’Irlande à marée basse qui s’étire à perte de vue, sous un ciel dégagé.
Le batteur, Ian Skelly, petit frère de James, détache la laisse de son chien, le jeune Rocky, qui file aussitôt se dégourdir les pattes avec des sauts qui déclenchent l’hilarité générale. Un peu plus loin, un bateau composé d’un assemblage de bois flotté est planté sur le rivage, drapeau pirate gonflé par le vent – ce n’est pas un hasard si le même drapeau est accroché dans leur studio.
“On aime tous fuir la réalité, c’est notre point commun”
Toute l’essence de The Coral est condensée sur cette bande de sable : leur esprit flibustier, leurs rêves de partir voguer plus loin que l’horizon, les chants de marins qui les hantent depuis leur premier album, mais aussi leurs hommages constants à la pop anglaise, en particulier à la grande tradition locale de merseybeat.
“Je crois qu’on aime tous fuir la réalité, analyse James. C’est notre point commun dans ce groupe et ça se reflète dans nos centres d’intérêt : les dessins animés fantasy des années 1980, les effets spéciaux de films d’horreur et de science-fiction et les œuvres de Richard Ford ou de Sam Shepard qui peuvent sembler réalistes mais qui sont bien plus éloignées du réel que Philip K. Dick de nos jours.”
Quand leur premier album est sorti en 2002, James était, du haut de ses 20 ans, l’aîné de ces surdoués précoces à l’accent scouse. Si quatre des six membres d’origine sont toujours en place, le guitariste de génie Bill Ryder-Jones poursuit une carrière solo passionnante depuis son départ en 2008, en tant qu’artiste et producteur et, plus récemment, Lee Southall, leur second guitariste, a préféré s’éclipser pour se concentrer sur deux projets personnels : un album en solitaire et un bébé.
L’importance de la section rythmique
James affirme qu’ils sont tous les deux restés en très bons termes avec le groupe et que la porte leur sera toujours ouverte s’ils veulent revenir. Pour ce nouvel album, l’équipe était donc privée de ses deux guitaristes principaux, dont les styles très reconnaissables faisaient partie intégrante du son du groupe.
“Ça ne fait qu’environ quatre ou cinq ans que j’apprécie réellement de jouer de la guitare, déclare James. Avant ça, ce n’était pour moi qu’un vecteur pour autre chose. Ça a changé quand je me suis retrouvé tout seul à en jouer. On n’était plus que quatre dans le groupe. C’est là que j’ai appris à être provisoirement le guitariste principal.”
Une basse plus fulgurante, une batterie hypnotique
C’est peut-être ce qui explique l’importance de la section rythmique sur Distance Inbetween : une basse plus fulgurante, une batterie hypnotique, des clins d’œil appuyés au krautrock, au rock progressif, à la pop psychédélique, au rhythm’n’blues et au drone.
Le groupe est rejoint par le multi-instrumentiste Paul Molloy (ex-membre des Stands, des Skylarks et des Zutons, originaire lui aussi de Liverpool), qui devient son guitariste et son cinquième membre alors que les premières répétitions pour l’album ont déjà débuté.
Les frères Skelly ont signé plusieurs groupes du coin
En parallèle à ces changements de personnel, The Coral a aussi fait une longue pause depuis la sortie de Butterfly House en 2010, ne sortant de son silence apparent qu’en 2014 pour publier en catimini The Curse of Love, un album qui regroupe des morceaux enregistrés entre The Invisible Invasion (2005) et Roots & Echoes (2007).
Le claviériste Nick Power en a profité pour publier deux recueils de poèmes et de paroles de chansons, le bassiste Paul Duffy s’est tourné vers les musiques de films, les frères Skelly ont sorti des albums de leur côté et lancé leur propre label, Skeleton Key, du nom de l’un des brûlots déglingués de leur premier album. Ils ont signé plusieurs groupes du coin et les accueillent dans leur local à tout faire.
Après un tour rapide du village, on retourne dans l’antre du groupe, à l’abri des bourrasques. Au passage, James nous fait traverser une allée en briques chère à tous : il y a quelques années, ils y ont tourné les clips de Secret Kiss et In the Morning, deux ballades qui rappellent la tendresse acoustique des La’s.
Un capharnaüm fascinant
En repassant par l’escalier, on s’attarde un peu sur les affiches de ce panthéon, des Rolling Stones aux Stone Roses, de Frank Sinatra à John Lennon, de Taxi Driver à Scarface. A l’intérieur, on pourrait scotcher des heures sur d’innombrables objets : des claviers vintage à foison, des montagnes de percussions en tout genre ou encore des affiches de films rétro (Confessions of an Opium Eater avec Vincent Price, Double assassinat dans la rue Morgue avec Bela Lugosi). Une tarentule géante surplombe un coin de la pièce. Leur trophée d’album de l’année pour Butterfly House aux Music Producers Guild Awards côtoie des figurines de superhéros sur une étagère surchargée et brinquebalante.
Le même capharnaüm fascinant irrigue leur musique. Malgré les détours et les virages sur la route, Distance Inbetween suit une ligne de conduite très claire, avec douze titres bouillonnants et hirsutes. “Dès le tout début du groupe, se souvient Nick, on a toujours voulu injecter des idées et des influences bizarres dans des chansons pop de trois minutes trente.”
Enregistré en très peu de prises pour refléter l’ambiance live, l’album laisse présager de concerts atomiques, surtout quand James confie qu’ils piocheront dans leur répertoire les morceaux les plus frontaux et rapides.
Devant leurs visages encore juvéniles, difficile de croire que ce groupe exigeant a déjà derrière lui près de vingt ans de carrière – ils ont commencé à jouer ensemble en 1996. Cette longévité explique leur complicité flagrante et leur expertise dans l’art de la pop-song biscornue.
album Distance Inbetween (Ignition/Pias)
concert le 6 avril à Paris (Trianon)
facebook.com/TheCoral
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