French Elvis ?
Quand je discute musique avec mes collègues anglais, toutes générations confondues, c’est un point Godwin qui est toujours rapidement atteint. Avec perplexité, curiosité. Sans malice : de Johnny Hallyday, les journalistes Anglais connaissent le nom, l’aura, les chiffres inouïs même parfois. Les plus anciens savent qu’il a joué avec Jimi Hendrix et enregistré avec Jimmy Page, ce qui ajoute à l’énigme. Mais sa musique, non. Invendable, invendue au Royaume-Uni, alors que, parmi les collègues yéyé, Françoise Hardy avait connu une jolie carrière sixties dans le swinging London. Même Gainsbourg s’était offert, malgré la censure de la BBC, un numéro un avec Je t’aime moi non plus.
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Johnny Hallyday, c’est comme en Angleterre la Marmite ou le Spotted Dick : il faut être né avec pour pouvoir, à défaut de le déguster, être déjà capable de l’avaler. Depuis la mort de l’idole des jeunes de 7 à 77 ans, les mêmes collègues anglais sont logiquement allés au raccourci le plus efficace, le plus réducteur aussi : “Death of the French Elvis”. Souhaitons à la mythologie Johnny qu’elle ne s’encombre pas des mêmes rumeurs et théories que la mort, ou non, d’Elvis. Pour bien souligner le triomphe principalement (exclusivement ?) franco-francophone, il aurait fallu le comparer à un artiste anglais méconnu en France mais riche de centaines de millions d’albums vendus en Albion : Cliff Richard. Après tout, l’un et l’autre sont nés de la cuisse (et surtout la hanche fertile et provocatrice) d’Elvis Presley. L’un et l’autre ont incarné, dès la charnière fondamentale entre 50’s et 60’s, la soif d’émancipation des jeunesses occidentales. L’un et l’autre ont ensuite traversé les âges, les mouvements et les bouleversements de leurs sociétés, tête baissée et sans économie pour Johnny, avec plus d’ascétisme et d’embourgeoisement pour Cliff, idole nationale que de sombres affaires supposées de mœurs ont ébranlé il y a quelques années. Partis du même dancefloor glissant de sueur et d’hormones, les deux carrières parallèles pourraient au finish se résumer par : deux salles, deux ambiances. Mais le titre “Death of the French Cliff”, ça avait sans doute moins de gueule (qu’est-ce qu’elle a, ma gueule ?).
https://www.youtube.com/watch?v=Y9iw1Z54DC8
En 2012, pourtant, tel Napoléon, Johnny Hallyday avait tenté une invasion anglaise. Malgré lui, tout d’abord, quand une poignée d’érudits et esthétes anglais publiaient, à l’occasion de ses cinquante ans de carrière, la compilation Le Roi de France, 1966-1969. Pas du tout sur le mode paternaliste ou ironique : non, ces gens remarquables, affiliés au magazine Mojo et au label dandy Cherry Red, s’excusaient au nom de leur pays pour avoir raté ces trésors cachés que sont A tout casser, La Génération perdue ou Noir c’est noir. La période anglaise de Johnny, donc.
Mais l’invasion britannique officielle, bien des années après cette “période anglaise », était censée démarrer par une série de concerts au Royal Albert Hall, symbole prestigieux du circuit live anglais. Salles combles mais gros hic : ses premiers concerts à Londres se joueront finalement à domicile, face à un public presque strictement français. A part quelques journalistes locaux dont les chroniques confuses et parfois même effarées autant que fascinées en disaient long sur la largeur infinie de la Manche. On proposa alors à l’excellente journaliste Kitty Empire, alors rédactrice au NME, de chroniquer pour Les Inrocks cet événement. Sa réponse, terrifiée, angoissée, en décida autrement. L’invasion anglaise resta lettre morte.
“Le rock français, c’est comme le vin anglais”, ricana autrefois John Lennon.
Ce matin, en Angleterre, toute la presse parle de Johnny, monument national, “French Elvis” dont personne, outre-Manche, n’est pourtant capable de citer ne serait-ce qu’une chanson.
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