Née à Detroit de la collision entre Stevie Wonder et Kraftwerk, la techno de Carl Craig fait danser l’Europe et ronfler l’Amérique avec Landcruising. Elevé chez les Smiths, le DJ prodige de Motorcity dit de sa musique qu’elle est sans couleur et sans visage ? ce qui ne sans âme. Rencontrer Carl Craig, c’est aller […]
Née à Detroit de la collision entre Stevie Wonder et Kraftwerk, la techno de Carl Craig fait danser l’Europe et ronfler l’Amérique avec Landcruising. Elevé chez les Smiths, le DJ prodige de Motorcity dit de sa musique qu’elle est sans couleur et sans visage ? ce qui ne sans âme.
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Rencontrer Carl Craig, c’est aller à la découverte d’une des figures les plus imposantes de la bande de Blacks de Detroit qui ont façonné à mains nues la techno. L’histoire en est devenue légendaire: au beau milieu des années 8o, un trio composé de Magic’ Juan Atkins, Kevin Master Reese Sauderson et Derrick May crée, sous l’influence de Funkadelic et Kraftwerk, ce qu’on a rapidement appelé la techno ? le son futuriste d’une ville sinistre, voire sinistrée, sorte de Manchester américaine ultraviolente qui ne vit que pour ses usines automobiles et les souvenirs d’un passé musical prestigieux, entre Motown et MC5. Carl Craig, 25 ans, est le producteur culte de la seconde génération techno de Detroit, né dans le giron ? et parfois à l’ombre ? des trois mythes susnommés. Ses premiers enregistrements, réalisés à la fin des années 8o sous le nom de BFC ou Psyche, sont devenus des collectors absolus, l’établissant comme le producteur le plus respecté de Detroit, peut-être le seul capable de sortir la techno ? l’originale, américaine, et non la version batardisée de la trance européenne de son carcan underground. Star mythique aussi essentielle pour les ravers européens qu’inconnu quand il se promène dans les rues de sa ville, Craig comme la majeure partie des DJ’s new-yorkais ? ne vit que grâce à l’Europe. A part David Morales, capable d’empocher 10 000 dollars pour un remix expédié en une nuit, ces pionniers de la techno ne doivent leur salut qu’aux tournées organisées ici ? des réfugiés culturels comme Welles, Chaplin, Faulkner ou Hemingway avant eux. « Je ne pourrais pas faire comme les jazzmen, me lasser de l’ignorance de mes compatriotes et venir vivre en Europe. Je veux rester près de mes racines. La techno, surtout celle de Detroit, est une musique urbaine, liée à cette ville. Je ne pourrais pas faire la même chose en Europe. Mon problème, ce n’est pas les Etats- Unis : c’est la diffusion de ma musique aux Etats- Unis. Nuance. Entre le rock alternatif, le rap ou la country la techno n’a pas sa place, ni ses radios, ni ses moyens de diffusion. Tant que ma musique n’a pas vraiment eu sa chance d’être correctement diffusée aux Etats-Unis, je resterai à Detroit. Je veux y parvenir sans tricher. Ma musique n’a jamais été et ne sera jamais commerciale. Tous les moyens sont bons pour que ma musique envahisse votre cerveau et votre maison. Sauf un .. la pervertir ».
Landcruising, son disque déterminant, refuse effectivement toute facilité: la plupart des titres sont proprement indansables, trop tordus pour entrer même dans la catégorie fourre-tout et opportuniste de l’ambient-music. Si la house des New-Yorkais de Masters At Work hypnotise et propose un groove intellectuel, la techno de Craig s’impose par sa gravité. On n’y rigole pas, mais on cède de bon cœur à la joliesse fascinante de musique. Cette distance parfois glaciale, ce parti pris de grâce et d’esthétisme musical évitent les risques d’une musique pourtant fondamentalement expérimentale. La fonction dansaNte de ses musiques offre un cadre rigide, un garde-fou aux dérives onanIstes. Pourtant, Craig ne voit dans la dance qu’une minuscule facette de sa musique, plus obsédé par l’expérimentation que par les clubs. « Au départ, utiliser un synthé, c’était du bidouillage absolu, la grande aventure. Aujourd’hui, c’est trop simple, tout est programmé à l’avance. Même quand je sample un son, je le triture jusqu’a lui donner un autre sens. il ne faut jamais oublier que la machine vous permet de faire des choses qu’an musicien en chair et en os ne pourrait pas faire. Un batteur qui joue à 180 bpm, au rythme de la jungle, ça n’existe pas. » Une soif d’expérimentation qui fait de Carl Craig un génial touche-à-tout dont le travail sur le rythme et les sonorités explose les barrières musicales : techno, disco, hip-hop, ambiant, et même pop (ainsi son émouvant remix de Ton Amos). « Les puristes m ont toujours emmerdé. Surtout dans la techno. J’ai pris le parti de les ignorer Personne n’a le droit d’imposer une seule direction à la musique. Prenez le jazz. Si on écoutait les puristes, on devrait détester Tutu.
C’est pourtant mon album de Miles Davis préféré ». Une ouverture d’esprit qui remonte à l’enfance: le jeune Carl Craig grandit bercé par Led Zep ou Parliament. « A 15 ans, j’étais le fan absolu des Smiths, je connaissais par cœur les paroles de This charming man et je rêvais devant ma glace de devenir Johnny Marr ». Si Kevin Sauderson cite volontiers Depeche Mode, New Order ou Tom Tom Club parmi ses influences, Craig choisit sans hésiter Morrissey, celui-là même qui invitait, le temps d’un Panic, à brûler les discothèques et à pendre les DJ’s.
Le passage des Smiths à la techno est pourtant radical: il suffit de quelques minutes du Nude photo de Rhythm Is Rhythm ? morceau fondateur de la techno de Detroit, signé Derrick May ? pour que Craig plonge irréversiblement. « J’ai reçu cette musique en pleine face et j’ai immédiatement su ce qui me restait à faire. Je n’ai jamais cherché à comprendre, ça s’est imposé. » A partir de ce jour de 1987, Craig abandonne à tout jamais son look Cure, ses T-shirts de Morrissey et revoit totalement sa discothèque, à la recherche des racines blanches ou noires de la techno. « Au départ, avec la muzak pseudo-électronique née de l’invention du synthé Moog, on peut dire que la techno est une musique blanche. Mais pour moi, les deux inventeurs de la techno, c’est d’un côté Stevie Wonder et de l’autre Kraftwerk. La techno est une musique sans couleur et sans visage ? ce qui ne veut pas dire sans âme. La soul, l’âme, fait la vraie différence entre bonne et mauvaise techno. Ainsi Norman Whifield faisait de la techno quand il s’aventurait dans le psychédélique. » Stevie Wonder, Norman Whitfield. Motown, Detroit. Autre exemple historique de mixité blanche-noire: Motown faisait de la pop, genre blanc avant tout, avec des artistes blacks. Si Motown lorgnait vers les Beatles pour repiquer les recettes du tube, les forçats de la techno s’inspirent d’un autre groupe blanc, Kraftwerk. « La plus grosse différence entre Motown et nous, c’est que nous n’avons jamais recherché le tube à tout prix. Sur dix chansons écrites chaque semaine à Motown, seul le hit potentiel sortait en disque. Nous, nous n’avions pas de Berry Gordy parmi nous pour faire le tri ».
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