Un éclaireur solitaire de l’electro française s’en affranchit en beauté, sous le nom de groupe trompeur Krikor & the Dead Hillbillies. Un premier album tardif et cannibale.
Krikor accompagne l’envoi de son album aux journalistes d’une balle à leurs initiales. Sur la pochette, quelque part entre un vieux Peckinpah et l’album Wildweed de Jeffrey Lee Pierce, il pose avec un fusil et trois cercueils pour ses Dead Hillbillies, le faux groupe de desperados qu’il a boys-bandé pour la photo. Tout ceci est en effet un leurre. Land of Truth est avant tout l’oeuvre d’un solitaire charmant qui tient de ses origines arméniennes son nom de vainqueur au Scrabble (Krikor Kouchian) et d’un long trajet dans les coursives de la French Touch ses clés pour une échappée aussi belle qu’inattendue.
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La trentaine bien entamée, dix bonnes années d’activisme au compteur, il réalise seulement aujourd’hui son premier album : “Je n’étais pas prêt avant ça. J’aurais pu faire depuis longtemps un album dans la veine de ce que j’avais produit en maxi mais je n’en voyais pas l’intérêt. Tout comme je ne vois pas quel intérêt il y a aujourd’hui à faire un disque avec toujours les mêmes sons compressés, comme on en entend encore pas mal. Derrière cet album, il y avait à la fois l’envie de faire un bilan et aussi de faire table rase du passé.” Le passé, justement, mérite un rapide rembobinage. Ce fan invétéré de Prince a retenu de son maître le sens des alliages multiples et du transformisme intuitif.
Nourri au hip-hop, il bifurque naturellement sur la bretelle electro en avalant les étapes et leur lot d’extases passagères : les premières secousses de Chicago, Madchester (avec une préférence pour les Happy Mondays, dont on retrouve vaguement l’écho lancinant et poisseux sur The Times, qui ouvre l’album), puis Berlin, où il s’installe et adopte la religion minimale sans pratiquer outre mesure.
Car Krikor est déjà un transgresseur, et tous les projets auxquels il collabore (avec The Ark ou France Copland) se distinguent par leur refus des dogmes, par la fraîcheur aussi de leur enthousiasme et l’étendue spectrale de leurs influences, que l’on retrouve dans ses sets de DJ, où il explose le monolithisme des snobinards des platines. Sa gourmandise le conduit jusqu’aux confins de la musique de recherche en compagnie d’Octavio Lopez, un professeur issu de l’Ircam. Ce sont presque tous les composants de ce CV sinueux qui remontent à la surface de Land of Truth, disque à la fertilité étonnante qui cannibalise aussi bien le dub que le blues, la cold-wave et les frontières les plus âpres de la techno. Pas l’un de ces bibelots régressifs qui tentent de faire passer les années 80 pour l’éternel paradis perdu, mais bien un coup de grisou sonique qui malmène les sens (l’impressionnant The Mist et ses embardées psychédéliques) et avance à la machette, au lance-flamme si besoin (God Will Break It All), ralentit aussi parfois pour admirer les paysages industriels en désolation de Cabaret Voltaire ou de This Heat (Everything Fades, Discipline).
Sa complice des premières nuits, DJ Chloé, fait quelques allers-retours dans ce dangereux bourbier, tout comme une autre Chloé (Raunet, de Battant) et Nicolas Ker de Poni Hoax, qui hante notamment le très beau The Edge, finale joydivisionesque qui place Krikor encore davantage à l’écart de l ’amuse – galerie French Touch.
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