La diva pop américaine est aussi poétesse. Accompagnée d’une musique sur mesure, elle interprète ici quatorze textes avec une flamme renouvelée.
Depuis la sortie de Norman Fucking Rockwell ! (2019), la vie de Lana Del Rey semble avoir évolué, comme à son habitude, en eaux troubles. La pandémie lui a évité d’annuler à la dernière minute ses concerts pour d’obscures raisons et, à défaut de parcourir le monde, elle est restée à Los Angeles, comme coupée d’une actualité anxiogène qu’elle ne pourrait supporter, à chiller avec ses copines, faire du surf et réciter sur Instagram des poèmes de sa plume.
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Ils sont aujourd’hui réunis dans un recueil, Violet Bent Backwards over the Grass, et quatorze d’entre eux sont mis en musique dans un disque bénéficiant des compositions de Jack Antonoff, qui avait déjà veillé sur Norman Fucking Rockwell !.
Ambiances lynchiennes et paradis perdus
L’habillage sonore est abrupt mais mélodieux, lo-fi, et basé sur des claviers parfois dissonants, hormis sur la conclusion Bare Feet on Linoleum, servie de cordes et de brouhaha. On se croirait chez un Angelo Badalamenti – certes en petite forme… Quant au potentiel de comédienne de Del Rey, il s’y révèle tout à fait : on la (res)sent tour à tour enthousiaste, désespérée, cynique, romantique, emportée, ironique, abattue, dans tous les cas inspirée.
Rien de neuf sous le soleil concernant les thématiques : l’amour, l’ambition, les désillusions, le rapport au corps… Et la Californie, présente dès l’ouverture, avec LA Who Am I to Love You ? : “LA I sold my life rights for a big cheque and I’m upset / Now I can’t sleep at night / And I don’t know why.”
Bien que ses convictions politiques et écologiques s’expriment dans un Paradise Is Very Fragile et qu’une partie des bénéfices du projet soit reversée à des associations œuvrant pour les droits des Améridiens, Del Rey ne s’éloigne guère du territoire dans lequel elle excelle : la bataille du Ça contre le Surmoi, biaisée par un Moi en proie aux pulsions névrotiques.
Humour et mélancolie
Quitte à être contradictoire. The Land of 1000 Fires dénonce la toxicité de l’air vicié d’une planète suppliciée comme des clichés patriarcaux : “The toughness to my unending softness / A striking example of masculinity / Firm in your verticality / Sure in your confrontation against all elements.” Sur Never to Heaven, elle est une geisha à l’indécrottable mélancolie (“I’ll be up early to rise though of course – but only to make you a pot of coffee”), tandis qu’avec Happy, elle joue avec les nerfs de l’auditeur·trice : “People think that I’m rich and I am but not how they think / I have a truck with a gold key chain in the ignition and on the back it says : happy joyous and free.”
Mais c’est aussi pour ça qu’on l’aime. D’autant qu’elle révèle ici un sens de l’humour, notamment dans Sport Cruiser, où elle s’inscrit à des cours de navigation sous le nom d’Elizabeth Grant sans que “personne ne cligne de l’œil”, et dans Tessa Di Pietro où, consultant une guérisseuse et lui parlant du “Dieu sur scène” qu’est Jim Morrison, celle-ci lui rétorque avec pragmatisme : “Jim died at 27 / So find another frame of reference / When you’re referencing heaven.”
Violet Bent Backwards over the Grass (Interscope/Universal)
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