Le dynamique festival Musica de Strasbourg donne l’occasion de découvrir le Catalan Josep Pons, un chef capable de restituer dans un même souffle habité l’âpreté de Manuel de Falla et les contrastes du répertoire espagnol du XXème siècle. Pour se réconcilier avec les bondieuseries, il faut partir du côté de l’Andalousie où les cierges et […]
Le dynamique festival Musica de Strasbourg donne l’occasion de découvrir le Catalan Josep Pons, un chef capable de restituer dans un même souffle habité l’âpreté de Manuel de Falla et les contrastes du répertoire espagnol du XXème siècle.
Pour se réconcilier avec les bondieuseries, il faut partir du côté de l’Andalousie où les cierges et l’encens font dresser les sens en une fièvre animale. Au début de la semaine sainte, à la tombée de la nuit, Grenade expose ses sons et ses effluves, ses contrastes et ses métissages. Claude Debussy et Manuel de Falla, au souvenir omniprésent, s’en sont inspirés en évitant l’espagnolade racoleuse. Avec Soirée dans Grenade, le premier a accouché d’une oeuvre pour piano d’un pittoresque maîtrisé : rythme de habanera, sonorités de guitare mâtinées de mélodie andalouse, tournures de tango. Quand on prend le pouls de la ville, on reste étonné de la pertinence de cette carte postale sonore. D’autant plus que Debussy n’y a jamais mis les pieds. A son tour, Falla a écrit un poème symphonique, Nuits dans les jardins d’Espagne, qui traduit l’atmosphère magique du quartier du Generalife. En 1905, il compose un opéra, La Vie brève, qui restitue la vie du quartier gitan du Sacromonte. Lui non plus, né à Cadix en 1876, ne connaissait rien de la ville auparavant.
En contrebas de l’Alhambra, l’Auditorium Manuel de Falla domine le Realejo, l’ancien quartier juif. Sur scène, le bandonéoniste Pablo Mainetti attaque le Concerto de Piazzolla. Derrière lui, Josep Pons, chef de l’Orchestre de Grenade, enchaîne les mouvements avec une énergie redoublée. Il salue avec le geste et la posture du matador satisfait. Ce soir-là, Pons ne jouera pas Falla qui lui vaut depuis quelques années une réputation justifiée ; il propose un programme mêlé de musique argentine et espagnole du xxème siècle qu’il pratique avec le même bonheur. A peine sorti dans la cour, on est pris aux tempes par les sonorités austères des répétitions pour les Rameaux. Tout en bas, on s’agite ferme. Dans un périmètre réduit, les gros bras s’entraînent à porter l’encombrant brancard de procession ; les cadets les suivent en s’époumonant dans des trompettes miniatures qu’on n’aimerait pas entendre au réveil. Les lueurs des cierges scintillent ; on n’est pas là pour rigoler.
Josep Pons, Catalan affable qui partage ses activités entre le Théâtre Lliure de Barcelone et l’Orchestre de Grenade, ne dissimule pas son intérêt nourri pour ces rites : « L’Andalousie, c’est un pays spécial. Toutes les traditions sont restées vivantes. C’est très pesant, ce cérémonial avec ces trompettes stridentes. On construit des brancards et chaque église a le sien, de même que chaque communauté a sa procession, y compris les gitans. L’histoire de Grenade, c’est celle d’une connivence pacifique. »
On saisit mieux la démarche musicale de Josep Pons et les choix qui l’ont guidé dans ses interprétations épurées des oeuvres de Manuel de Falla en s’installant dans un restaurant bigarré de l’Albaicin, ou en tendant l’oreille pour noter les rythmes de flamenco, ou encore en contemplant pour la énième fois la procession des Rameaux qui s’ensuque. On retrouve dans ses disques une force primitive, un souffle rauque qui surgit des voix pour se glisser dans la texture instrumentale et mourir dans un silence pesant.
Sur l’étroite Carrera del Darro, l’austérité du rite rejoint celle de l’arène et de la sciure sanguinolente. La fanfare qui joue impeccablement le Christ de la présentation rappelle la tension des ultimes mesures qui précèdent la mort du taureau. L’encens qu’on nous balance à la tête se disperse mal, la cire qui coule fumante de cierge en cierge prend la forme d’une semence abondante, le heurtoir qui stoppe le convoi résonne de l’autre côté de l’Alhambra, le bar tapas, où braillaient quelques minutes plus tôt des tubes techno, bruit maintenant des chuchotements de clients pieux et littéralement édifiés ; le patron allumera un cierge lui aussi. On imagine Falla au premier étage, ouvrant sa fenêtre, le visage osseux, propre comme un sou neuf. « Il passait tous les jours trois heures à faire sa toilette. Inouï. Il admirait le polyphoniste du xvième siècle, Tomas Luis de Victoria, c’est très sensible dans L’Atlantida. C’est très curieux : cet homme si religieux n’a écrit aucune oeuvre religieuse. Il a d’ailleurs très peu écrit. Des zarzuelas au début et puis des oeuvres dramatiques où on sent l’influence de Stravinsky. En fait, sa grande messe, c’est L’Atlantida. Le point de départ de son opéra La Vie brève, c’est l’imagination sur Grenade, ces contrastes qui n’existaient pas à Cadix, même si l’influence arabe y était aussi perceptible. On retrouve la vie des gitans au Sacromonte, le travail du fer, des forges. La musique populaire entre ici dans la musique savante. Falla réussit une transcendance musicale à partir du flamenco, un peu comme Bartók. J’ai pris un guitariste flamenco et on a cherché à faire un rythme de solea ; il a eu toutes les peines du monde à lire ce qui était écrit. Tout ça est bien le reflet d’une austérité. C’est aussi une question d’isolement et de culture en général : avant Falla, on ne voyageait pas tellement. Le xixème siècle espagnol est encore très traditionnel musicalement parlant ; on continuait d’écrire des symphonies avec basse continue. C’est seulement en 1900 qu’on a donné la première espagnole de la Neuvième de Beethoven à Madrid et, en 1922, celle de la Messe en si de Bach à Barcelone. Falla arrive dans ce contexte ; il était de Cadix, un port, mais lui va voyager et impressionner les Français. »
Les interprétations des oeuvres de Falla par Josep Pons n’ont pas seulement l’avantage d’évacuer les poncifs démodés (genre beau chant ou bel opéra) ; elles rehaussent la fièvre inquiète qui colle à cette musique. Les Sept chansons populaires dégagent un relent vénéneux, son Amour sorcier bat du pouls de la cantaora Ginesa Ortega, les merveilleux Tréteaux de maître Pierre, pièce picaresque sur Don Quichotte, exhalent leur parfum naïf grâce au timbre d’un enfant. Mais le rayonnement de Pons est loin de se limiter au seul nom de Falla. Son mérite est d’avoir fait mieux connaître des compositeurs comme Frédéric Mompou et surtout Roberto Gerhard, Catalan et élève de Schoenberg, qui embarque la musique espagnole dans le char du dodécaphonisme. Sans parler de Luis de Pablo, figure de proue de la deuxième partie du siècle. Au dynamique festival Musica de Strasbourg qui fait cette année un sort à la musique espagnole dans tous ses états, Pons fait une apparition avec son orchestre de chambre du Théâtre Lliure. Cinq ouvres de la jeune musique ibérique données en première française : l’occasion d’entendre un chef encore trop rare en France mais dont les disques relevés entretiennent une présence habitée.
Josep Pons, Principaux albums (tous chez Harmonia Mundi) : Falla, Nuits dans les jardins d’Espagne/Le Tricorne, L’Amour sorcier/Les Tréteaux de maître Pierre, Chansons populaires espagnoles/Concerto pour clavecin, La Vida breve ; Albéniz, Pepita Jimenez ; Mompou, Suburbis/Les Impropères/Scènes d’enfants.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}