Si le dernier album du chanteur californien, “Chasing Summer”, est sorti fin août, il est pourtant passé relativement inaperçu en nos contrées. Une injustice qu’il est temps de réparer, d’autant que rares sont ceux qui parviennent à si bien cerner la complexité des relations amoureuses en musique.
Au-delà de la musique, il y a une référence qui attire l’attention dans ce nouvel album : celle à John Redcorn, personnage de la série animée “King Of The Hill”, dont le nom est le titre de l’une de tes chansons… Pourquoi ce choix ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
SiR – (rires) C’est un personnage très spécial. Je suis un grand fan de son créateur, Mike Judge. J’ai grandi en regardant King Of The Hill, et j’ai toujours pensé qu’il existait plein de John Redcorn, là-dehors. On a l’impression qu’il est heureux, mais au final, il est toujours seul, il n’arrive pas à s’engager dans une relation. C’est assez pathétique à regarder. J’ai un ami qui lui ressemble beaucoup sur ce point, il se retrouve toujours dans des situations sentimentales bancales. Je ne pouvais pas nommer la chanson d’après mon ami, j’ai donc préféré faire cette référence à John Redcorn. Ça a été un titre facile à écrire, je recherche toujours de nouvelles manières de parler d’amour, et ce personnage a été une sorte de muse.
Pour parler d’amour, ce ne sont pas les muses qui manquent pourtant…
Toutes les chansons d’amour ne parlent pas réellement d’amour, il ne suffit pas de chanter “I love you”. On peut dire “J’ai détesté t’aimer”, “Je t’ai aimé”, “Je ne t’aime pas”… Sur John Redcorn, je dis “Pourquoi ne m’aimes-tu pas ?”. Et il faut trouver une inspiration spéciale pour chanter cela.
Tu es marié. Quand on est soi-même dans une sorte de certitude sentimentale, n’est-ce pas parfois compliqué de chanter les sentiments amoureux ?
Je crois que tout dépend de la relation que tu vis. Dans la mienne, c’était difficile. Le problème majeur était que la communication était souvent complexe, il a fallu établir des règles. Pour ma femme, ça n’est jamais une surprise d’entendre ce que je chante. Elle sait ce que j’ai sur le cœur, que j’ai de bonnes intentions, que je travaille. Ma situation et ce que je décris dans ma musique, dans mon boulot, sont deux choses différentes. C’est très important.
Est-ce que cela veut dire que tu inventes des histoires quand tu parles d’amour ?
Parfois, oui. Certaines viennent de mon passé, d’autres de ce que mes amis vivent. Je suis quelqu’un de très observateur, j’aime être attentif à ce qui m’entoure. Et même si je ne parle pas de ma vie, il y a tellement de situations par lesquelles l’humain peut passer, que ça ne tarit jamais. Il y a des cœurs brisés dans le monde entier, tout le monde connaît le bonheur, des bons jours ou des mauvais, les noirs, les blancs, les verts, les jaunes, les violets… Tout le monde souffre, aussi.
Tu es né dans un environnement familial composé de musiciens. Il paraît même que ton oncle est Andrew Gouche, l’un des grands bassistes de gospel…
Oui, et il est encore très actif. Il m’a beaucoup conseillé dans mon parcours, a aidé ma mère quand elle était dans le besoin… C’est un homme incroyable. D’ailleurs, mon second prénom est Andrew. Il m’a offert ma première MPC 2000 XL, m’a acheté une guitare quand j’avais treize ans (mais je n’ai jamais su en jouer correctement), il a acheté et installé Cubase sur mon ordinateur… Tout ce dont j’avais besoin pour m’épanouir musicalement, il me l’a amené.
Dans la chanson “LA Lisa”, tu fais aussi référence à la chanteuse de gospel CeCe Winans. Est-ce que le gospel est une musique importante dans ton processus créatif ?
Je suis quelqu’un de pieux, j’ai été élevé dans l’idée qu’il faut respecter ses croyances et ses valeurs. Le gospel est une musique de partage, les gens vont à l’église parce qu’ils ont besoin d’aide, ils veulent guérir. J’ai vu ma mère chanter devant des publics de plus de deux mille personnes, alors qu’elle vivait des temps très difficiles. Elle s’endormait sans être sûre de se réveiller un jour, elle pouvait à peine marcher, mais elle chantait tout de même. C’est ça, la grande force du gospel.
Ton oncle a aussi été le bassiste de Prince pendant quelques temps. Est-ce que ce dernier est un artiste qui influence ta musique ?
Il a surtout influencé la génération de mes parents, mais le fait de voir mon oncle être si heureux quand il jouait sur scène avec lui m’a marqué. Si tu écoutes ma musique, tu entendras que je fais très attention aux détails, à la musicalité. Il ne s’agit pas uniquement de ce que je dis : je pense à qui joue quoi, et dans quel espace. Prince était le meilleur pour cela, aussi bon que Quincy Jones. Il fallait que la musique dise autant de choses que les paroles. Il se concentrait sur le chant, mais il fallait que la guitare chante elle aussi. Je crois que Darling Nikki est une de mes chansons préférées (il fredonne les premières paroles).
Il basait certaines de ses chansons sur les batteries, et en entendant certaines de tes chansons, comme “The Recipe” ou “You Can’t Save Me”, on a aussi cette impression…
Peut-être, mais mon influence principale dans ce domaine est Dr. Dre. Ça vient de ma culture West Coast, du fait de vouloir écouter de la musique en conduisant, avec ce soleil qui tape sur l’arrière de la bagnole. Mais je veille toujours à ce que les voix soient en avant, qu’elles priment sur le reste. C’est une histoire de mixage, avec également une grande importance donnée à la base kick-snare-basse. Tout est affaire d’équilibre entre ces deux parties d’un même morceau. Mais il faut que ça sonne comme du SiR. Les mix de Dr. Dre étaient très différents des miens, je prends un peu à tous ces grands artistes qui ont fait le son West Coast.
Tu es signé sur le label Top Dawg Entertainment (Kendrick Lamar, Schoolboy Q, SZA, Jay Rock, Ab-Soul…), tu travailles avec des producteurs récurrents de ce label comme Sounwave… Est-ce que ces beatmakers font aussi partie de cette grande famille qu’est TDE ?
Oui, Sounwave est comme un frère pour moi. Il a une connaissance incroyable de la musique en général, il se nourrit de bien d’autres choses que juste la production. Il est ce genre de type qui arrive, qui met les choses à leur place, qui trouve les bonnes personnes pour que tout soit parfaitement exécuté. Il n’est pas seulement un faiseur de beat, il est un faiseur de musique, d’ambiances, de couleurs.
Il ne travaille pourtant que sur un seul morceau de “Chasing Summer”…
Oui, mais il a participé à l’album au-delà des crédits. C’est un véritable homme de l’ombre.
On sent dans cet album un attrait pour le sampling, mais des samples qui sont en fait rejoués en studio. Est-ce ta manière de fonctionner ?
Le milieu du hip-hop peut être assez piégeux. On sait tous que beaucoup d’artistes attendent en espérant que quelqu’un les sample, pour l’attaquer ensuite. C’est pourquoi il faut faire extrêmement attention à ces histoires de droits, à bien vérifier que tout est en ordre, que les clearance ont été faites. Rejouer les samples, c’est un moyen de se protéger. C’est un procédé que nous avons mis en place notamment sur des titres comme Mood, Lucy’s Love et You Can’t Save Me. Et nous n’avons eu aucun problème. Parfois, les choses peuvent mal tourner, alors que le sampling n’a rien de néfaste s’il est fait avec la bonne démarche et le bon esprit.
Dr. Dre était aussi un grand adepte du replay. “California Love”, “Xxplosive”… Certains de ses plus grands tubes sont basés sur cette technique.
C’est vrai, et on a parfois l’impression que c’est le vrai sample tant les choses sont faites avec précision.
Dans une précédente interview, tu disais que la West Coast avait d’excellents rappeurs, que personne ne pouvait dire le contraire, mais que les beats n’étaient parfois pas au niveau. Que voulais-tu dire exactement ?
On a eu cette époque où le son était dominé par le gangsta rap, c’était très musical. J’ai grandi en fréquentant les églises, je suis habitué à entendre un certain niveau de musicalité. Et je crois qu’après la grande époque de Dr. Dre, on a un peu oublié cela. C’était entre 2004 et 2009 je dirais. Il n’y avait rien. Pour moi, c’était comme manquer de respect à soi-même. Je me demandais souvent comment certains artistes avaient pu choisir ce type d’instrus. Et puis, quand Ab-Soul ou Schoolboy Q sont arrivés dans le game, les choses ont changé. A chaque fois que Kendrick sort un projet, il offre une dose énorme de musicalité, n’importe qui peut s’en apercevoir.
Les artistes que tu cites sont tous signés chez TDE…
(rires) Oui, nous sommes des game changers.
Propos recueillis par Brice Miclet
{"type":"Banniere-Basse"}