Groove sophistiqué, synthé modulaire et Auto-Tune. Kurt Wagner confirme le tournant osé qu’a pris la passionnante conversation entre Lambchop et nos âmes.
FLOTUS (l’un des plus grands et beaux disques des années 2010), c’était le son de Lambchop s’en allant ailleurs. C’est aujourd’hui une évidence à l’écoute de This (Is What I Wanted to Tell You) – qui est de ces albums fuyant la version explicite, la formule achevée. Mais si son titre affirmatif ne ment pas, Kurt Wagner n’en a pas pour autant fini de jouer avec nous au chat, au sphinx. “Le nouvel album est issu de ce que Flotus m’a appris, et vient y ajouter de nouvelles choses… D’un coup, plein de portes se sont ouvertes”, nous explique-t-il, visiblement ravi de défendre ce disque qui poursuit sa surprenante échappée sonore loin de la folk orchestrale qui a fait sa réputation.
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Révolution
A l’image de son art, c’est une révolution à la fois radicale et toute simple qui s’est opérée : “Disons que je suis passé de la machine à écrire au traitement de texte.” Traitement de texture aussi, pour un Lambchop qui n’hésite plus à laisser entrer l’électronique au coin de son feu, surtout depuis que Kurt s’est acoquiné à ces pratiques avec le projet HeCTA – “Mais This… est plus organique, truffé d’impros, d’éléments venus des trios de jazz, précise-t-il néanmoins. Je voulais faire revenir les instruments traditionnels.”
Un album à deux têtes pensantes
La grande nouveauté ici c’est que la bête a deux cerveaux. Kurt a rencontré Matthew McCaughan, batteur de formation et collaborateur multicarte passé chez Bon Iver, lors de la fête d’anniversaire de son frère Mac, le fondateur du label Merge Records. Entre l’homme de Lambchop et cet “artiste-chercheur” se met en place “une sorte de conversation dingue” orchestrée par l’Eurorack, un synthétiseur modulaire : “Matthew me fournissait des performances de trente ou quarante minutes, que je traitais et montais pour en retirer la base des chansons. Je fais l’essentiel du montage sonore avant d’aller en studio avec les gars, mais eux aussi contribuent à tout transformer.” A l’arrivée : un disque somptueux, au groove aussi fragile qu’implacable. Qui renvoie au Marvin Gaye de Midnight Love – “Oui, je recherchais cette chaleur.” La voix de Wagner continue à s’amuser avec l’Auto-Tune “comme avec une pédale d’effets” car, n’en déplaise aux allergiques, “la modification de la voix, ça peut être très soul. Il faut abandonner le préjugé selon lequel ce serait un masque, une façon de se cacher. Depuis qu’on enregistre la voix, on la modifie via la technologie. Même au tout début, quand on a collé un micro devant Leadbelly. L’authenticité, c’est relatif”.
« Je suis toujours électrisé »
Fasciné par le hip-hop et l’ambient, deux genres qui irriguent désormais son travail, Kurt Wagner pourrait se rapprocher contre toute attente d’un autre grand K. W. : “J’adore Kanye West bien sûr, mais je suis surtout fan de la scène de L.A., tout ce qui vient de Top Dawg : Kendrick Lamar, Travis Scott et tous ces trucs mainstream, mais aussi Standing On The Corner de Brooklyn : eux aussi ont quelque chose de jazz”, s’enthousiasme-t-il, emballé de voir l’expérimentation revenir sur les grandes radios. Revenir aussi, via ses coolissimes nouveaux morceaux, directement au creux de l’oreille de l’auditeur – sur cet album où presque tous les titres comportent le mot “you” : “Ça te projette dans la chanson, c’est une conversation comme celle que nous sommes en train d’avoir.” Et qu’il conclura ainsi : “Je suis déjà en train de penser à ce que je vais faire ensuite, et je suis toujours électrisé.” Nous aussi, Kurt, nous aussi.
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