Enregistré avec l’incontournable Jon Brion, le nouvel album de Mac Miller, décédé le 7 septembre 2018 à l’âge de 26 ans, n’a rien de macabre. “Circles” est au contraire fait de ballades, d’arrangements légers, même si transparaissent les doutes et la noirceur du rappeur. Entre références aux Beatles et production versatile, analyse d’un disque important.
Lorsqu’un jeune artiste quitte ce monde, il laisse toujours une grande part d’incompréhension derrière lui. Au-delà de la tristesse de son public, des hommages, il y a un vide musical, mais surtout un lien qui se rompt. Alors, dans des élans un peu désespérés, on se met à lire entre les lignes, à déceler des explications. Comment allait-il, avant ce 7 septembre 2018 ? Qu’avait-il en tête ? Quels indices sur son état a-t-il laissés ? On analyse sa discographie, on décortique les textes, et on tente, souvent vainement, de trouver des ébauches de réponses. Mais rien ne pourra totalement renseigner les fans de Mac Miller, qui a emporté avec lui ses pensées les plus sombres, mais laisse, heureusement, une trace sonore importante. Circles, son premier album posthume, en est une nouvelle preuve.
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Deux musiciens sont dans un studio
Le rappeur de Pittsburgh travaillait ardemment sur cet album avant son décès. Il aurait potentiellement dû être le deuxième acte d’une trilogie regroupant son dernier en date, Swimming, et un autre qui ne sortira peut-être jamais, et qui aurait pu s’appeler Aqua Marina. On ne sait pas si ce projet verra le jour. La famille, et notamment le frère de Mac Miller, a une volonté de préserver sobrement l’héritage du petit prodige. L’avenir nous dira s’ils y parviennent (peu y parviennent, soyons honnêtes), mais Circles mérite de voir le jour tant l’enregistrement était avancé avant sa mort.
Cet album est un album de Mac Miller. Mais il porte la trace d’un autre homme, Jon Brion, qui a déjà à son actif des productions pour Kanye West, Fiona Apple, mais surtout la bande originale du chef-d’œuvre de Michel Gondry, Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Un mec avec qui Mac Miller rêvait de travailler. Leur collaboration avait déjà été entamée sur Swimming, la voilà qui se prolonge, et de façon bien plus prononcée. Cet apport de Brion, c’est l’unité sonore de Circles, la sensation de deux hommes enfermés en studio avec une liste d’instruments définis, des idées semblables. Mac Miller était un touche-à-tout qui pouvait balancer des ébauches à la batterie, au piano, simplement, et laisser son producteur peaufiner les arrangements, rejouer les lignes, et triturer les synthétiseurs. Cette dualité, à l’écoute, est évidente.
Le poids des questions et des doutes
Mais le premier réflexe, ce qui attise la curiosité dans un mélange de besoin de réponses et de voyeurisme, ce sont les thèmes et les textes de Circles. Forcément, les références à la mort, les questionnements sur le sens de la vie, les indices disséminés, ressortent. Ils sont omniprésents. La sensation de perdre pied, thème cher à Mac Miller que l’on retrouvait dès 2013 et l’album Watching Movies With The Sound Off, hante le superbe I Can See : « Heaven’s too far when you live in the basement / I’m looking for balance, I’m in an oasis / Well, I need somebody to save me / Before I drive myself crazy ». Les nappes de synthétiseurs, ces ponts constants en font l’un des temps forts de l’album, à l’instar de Complicated, qui pourrait bien être l’unique titre ayant un réel potentiel de single. Ce dernier trahit la présence d’autres musiciens en studio, car à l’écoute, difficile d’envisager que Jon Brion ou Mac Miller aient pu jouer cette basse dingue de précision et de finesse. En fait, il s’agit d’une brute, d’un monstre : Mono Neon, l’un des meilleurs bassistes en activité. Et il y a ce texte, ce refus de faire face aux complications de la maturité et de l’âge : « Inside my head is getting pretty cluttered / I try but can’t clean up the mess I made / Before I start to think about the future / First can I please get through a day / Without any complication ».
Pourtant, ça n’est pas Complicated qui a été envoyé au front la semaine dernière pour annoncer la sortie de l’album, mais Good News. Certainement l’un des morceaux les plus explicites, les plus émouvants, comme pour bien faire comprendre qu’il faudra décrypter ces textes, faire des interprétations pour cerner Circles. Ca ne rate pas. Le fatalisme d’Everybody (« Everybody’s gotta live / Everybody’s goota die »), le diable qui frappe à la porte sur Blue World (« The devil on my doorstep being so shady »), le questionnement sur l’héritage laissé de Once a Day (« I might just fade like those before me / When will you forget my past ? »)…
Toujours plus éloigné du rap
Mac Miller était un immense fan de John Lennon. Impossible de ne pas cerner l’influence des Beatles, à tel point que certaines mélodies, certaines pistes musicales, rappellent des titres précis du co-leader des Fab Four. Le meilleur exemple, c’est peut-être le très beau Hand Me Downs, et ses inspirations à la Jealous Guy. A l’heure où il est de bon ton de collectionner les rappeurs en featuring, Mac Miller a uniquement convié (ou bien on a convié à sa place) un chanteur inconnu au bataillon, un pote australien, Baro Sarka. Mais c’est la production globale d’une large partie des morceaux qui fait planer cette référence. Le duo batterie-piano semble grandement nourri de ballades du groupe mythique de Liverpool, tout comme certaines guitares que George Harrison n’aurait sûrement pas renié (cette fuzz sur Surf, par exemple). Ce son, cette recherche mélodique totale qui laisse le rap de côté, à de rares exceptions, peut aussi trouver ses limites avec des titres plus hasardeux tels que Everybody ou That’s On Me.
Le rap, justement, tenait une place de moins en moins prégnante dans l’évolution musicale de Mac Miller. Lui qui fut, un temps, garant d’une forme de classicisme hip-hop, parvenant à réunir un public jeune mais peut-être nostalgique d’un certain son, notamment à ses débuts, a toujours évolué, osé, notamment sur The Divine Feminine sorti en 2016. Ici, les traces d’une démarche rap sont rares, privilégiant une production presque pop, basée sur les synthétiseurs et les guitares de Jon Brion, qui ne cesse de se laisser de longs passages instrumentaux, notamment en outro des titres. Alors oui, il y a une exception, Blue World, basé sur le sample de It’s A Blue World, sorti en 1950 par le quatuor vocal The Four Freshmen, qui est dans un premier temps découpé à l’équerre et au niveau à bulle, fidèlement, puis sert de base à un léger sidechaining effréné. Savoureux, et salutaire pour un album qui, sans ces petits ovnis, aurait pu vite tourner en rond et sombrer dans le trop-plein de sentimentalisme.
Se détacher du macabre
Ça n’est pas le cas. Les douze titres de Circles forment un ensemble touchant, entre simplicité mélodique et arrangements dociles, au service d’une émotion impossible à contenir, mais qui ne devient pas pesante. Il faut peut-être, si cela est possible, se détacher du discours, de l’interprétation des textes pour l’apprécier pleinement. Car s’il s’agit d’un album posthume, Mac Miller était bien vivant en le composant, était sur une pente ascendante psychologiquement, voulait très certainement faire de la musique, encore. Au public, à l’auditeur de prouver que Cricles n’est pas macabre, mais qu’il célèbre au contraire une vie complexe, faite de doutes et de noirceur, mais surtout de lumière.
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