La rappeuse Lala &ce et le DJ et producteur Low Jack unissent leurs forces démentes sur “Baiser Mortel”, une comédie musicale. Avec, aussi, Marine Serre aux décors et Cecilia Bengolea aux chorégraphies. Du 18 au 21 octobre à La Bourse de Commerce.
C’est, de loin, le projet le plus excitant de cette rentrée automnale 2021 : une comédie musicale réunissant la crème des artistes les plus en vus, produite et présentée à la Bourse de Commerce qui abrite la Collection Pinault. Trois soirs immédiatement sold out, une quatrième date ajoutée in extremis, elle aussi complète en quelques minutes.
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Il faut dire que tout là-dedans est alléchant. Le casting déjà : Low Jack, DJ, producteur, cofondateur du label Éditions Gravats/Les Disques de la Bretagne (qui sortit un EP avec Brodinski en 2020); Lala &ce, rappeuse au premier album moite de désir, Everything Tasteful, paru plus tôt cette année, Cecilia Bengolea, chorégraphe et danseuse argentine et Marine Serre, styliste auréolée du prix LVMH 2017 dont l’imprimé lune a fait chavirer le cœur de Beyoncé.
Baiser mortel
Mais aussi : les chanteur.euses et rappeur.euses Rad Cartier, Le Diouck, Baby Solo, et Jäde. Autant de figures saillantes et charismatiques, d’êtres passionnés et exaltants que l’on pourrait rassembler sous l’appellation un peu facile mais tout de même intéressante de « nouveaux jeunes gens mödernes ». Oui, si les années 80 avaient leurs Stinky Toys et autres Marquis de Sade, 2021 compte désormais la galaxie Lala &ce, pour faire court.
Une comédie musicale donc, baptisée Baiser Mortel, où il est question d’Eros et de Thanatos, d’une Faucheuse personnifiée par Lala &ce descendant sur Terre et ne pouvant plus en repartir après être tombée éperdument amoureuse. Un remake en somme de Rencontre avec Joe Black, film de 1998 avec Brad Pitt, lui-même adapté de La mort prend des vacances, film américain de 1934, lui-même basé sur la pièce italienne, La morte in Vacanza du dramaturge italien Alberto Casella (1924) traduite et montée pour Broadway par Walter Ferris en 1929. Le pitch était simple : la mort prenait trois jours de vacances au cours desquels elle tombait amoureuse d’une mortelle et se prenait en pleine face la condition humaine.
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Dream team
À l’origine du projet : Cyrus Goberville, désormais directeur artistique de la Bourse du Commerce, qui booke Lala&ce et Low Jack un soir de Fiac 2019 à L’Église Saint Merry. La connexion se fait, les deux artistes décident de poursuivre un échange en studio, certainement en vue d’un album commun. Mais voilà que la Bourse du Commerce cherche des projets novateurs à produire et présenter. Lala et Low Jack se chauffent sur une comédie musicale, sans bien savoir vers quoi ils se dirigent.
Le confinement tombe, le producteur et la rappeuse bouclent pas-à-pas les productions d’un album/bande-son. Cyrus Goberville ramène Marine Serre et Cecilia Bengolea dans la dream team. Lala est chargée de caster les interprètes : « Je savais que Jäde – avec qui j’avais déjà bossé – avait une facilité à écrire sur un thème, à imager, nous explique-t-elle dans la loge de la Bourse de Commerce où on les retrouve. Baby solo c’est la newcomer, la rookie. J’aime beaucoup sa voix, son innocence. Je sentais qu’elle s’intégrerait bien dans l’histoire. Le diouck et Rad Cartier ce sont des proches, donc je voulais qu’ils soient dans l’aventure, et puis ils ont une présence physique hyper charismatique.”
Chacun·e participe à l’écriture des paroles des morceaux sur les prods établies par Lala et Low Jack. Pas de leader·euse de bande, mais un esprit de troupe joyeuse et fantasque où tout le monde peut donner son avis et apporter sa pierre à cet édifice branlant puisqu’inédit.
“J’avais peur d’embarquer des gens dans cette aventure et qu’elle ne leur plaise pas, avoue Low Jack. Parfois je doutais aussi du fait de bien me faire comprendre. J’avais peur de perdre les gens.” Lala &ce enchaîne : “Mais une fois qu’ils sont impliqués, ils veulent tous que ça déchire. Ce ne sont pas des gens qui se cassent du jour au lendemain.”
Le plus difficile étant de raconter une histoire, de tracer un semblant d’arc narratif dans cette bande-son. Pour ce faire, Lala et Low Jack se repassent de vieux clips de R&B du début des années 2000 type Usher, et travaillent sur l’écriture de duo et de trio. Une seule volonté : ne pas écrire une comédie musicale “à la Disney”, disent-ils, avec des envolées musicales entrecoupées de dialogues. Ici, tout est morceau, tout est musique, et sans mièvrerie. “C’est une histoire de vices surtout, décrypte Low Jack. Le mensonge, la manipulation, le désir, l’envie… Les humains, quoi.” Les personnages – qui ne portent pas de noms – n’ont pas de construction à proprement parler, et n’interprètent que des sentiments de façon symbolique.
De son côté, Cecilia Bengolea a travaillé avec deux danseur·euses de dancehall Craig Black Eagle, Jamaïcain, et Katrin Wow, Ukrainienne, ainsi que la contorsionniste Elodie Chan, en oubliant les paroles pour s’attacher entièrement au rythme et aux émotions des morceaux. “J’ai dit oui au projet, car j’ai adoré la bande-son. Je n’avais jamais travaillé avec des rappeurs français. Enfin, ce n’est pas du rap, c’est un nouveau style avec beaucoup d’intentions. Une sorte de soul spéciale avec sa cosmogonie propre. Ça vient de mille lieux. Il y a du dancehall, des rythmes afro, mais revisités”, raconte la chorégraphe.
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Tout prend forme en novembre 2019 avec la visite de la Bourse de Commerce. Là, les protagonistes de l’affaire prennent la mesure du boulot qui les attend : mettre en scène leurs idées montées pour l’instant en studio, avec notamment l’aide précieuse d’Oriana Bekka, manageuse de Lala &ce qui assure une grosse partie de la direction artistique du spectacle. L’amphithéâtre de la Bourse est exploité dans sa double face : deux espaces séparés par une mince vitre, permettant jeux de danse et de lumières, complexité des tableaux.
Secouer le paysage institutionnel
Les répétitions auxquelles l’on assiste laissent entrevoir sobriété de jeu, charismes explosifs, ambiance brumeuse et moite, lâché prise en vérité maîtrisé. Rien n’est laissé à l’improvisation. “Si nous aimons tous d’habitude travailler en laissant place au hasard, il a fallu être carré dans ce projet, très précis, à l’image de la musique.” Pas simple pourtant d’organiser un tel projet sans chef·fe d’orchestre dédié même si l’on sent que Low Jack et Oriana Bekka drivent principalement les acteur·trices, tandis que Cecilia Bengolea s’occupe de ses danseur·euses.
Croisés dans les couloirs, Le Diouck et Rad Cartier- qui ont fait quelques concerts avec Lala ou leurs projets perso respectifs mais à peine, naviguant également dans le milieu de la mode avec leurs sens du style 3000 – se disent hyper contents et sereins.
Quelle joie que la Bourse du commerce dépoussière le paysage institutionnel actuel en confiant les clés à une bande de jeunes excités décidés à aller au bout de leur douce idée rêveuse, fantaisiste et viciée. Il se dirait qu’une tournée et un album pourraient en découler…
Baiser Mortel, du 18 au 21 octobre à La Bourse de Commerce-collection Pinault (Paris, 1er)
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