Le chanteur majuscule revient à une production aérienne et spacieuse qui happe dès le premier morceau. Avec Mark Hollis en ligne de mire.
“Je ne reviendrai pas avec un disque comme La Fragilité. Pour les gens qui me suivent, il n’y a plus de surprise. Mon idéal artistique demeure Laughing Stock de Talk Talk. J’aimerais parvenir à ce type de suicide commercial, tout en étant artistiquement aussi incontournable”, nous confiait Dominique A à la sortie de son douzième album studio, à l’automne 2018. Après un disque enregistré entre deux confinements (Vie étrange), le revoici donc avec une œuvre longuement mûrie depuis quatre ans et pour laquelle son auteur-compositeur-interprète s’est mis une pression artistique plus grande qu’à l’accoutumée.
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“Finalement, j’espérais faire Laughing Stock et j’ai fait mon The Colour of Spring – Dieu merci. Disons que j’étais dans cette référence, mais pas dans la déférence”, s’amuse-t-il à la terrasse de son label Cinq7 dans la fournaise caniculaire du mois de juin. “J’ai même failli sortir huit chansons seulement, comme sur l’antépénultième album de Talk Talk.”
Vingt-cinq jours de prise avec cinq musiciens
Pour réaliser son fantasme hollisien, Dominique A a fait appel à l’ingénieur du son et réalisateur Yann Arnaud (Air, Sébastien Schuller), qui lui suggère aussitôt de s’enfermer au studio francilien de La Frette, disposant d’une console analogique qui fit les heures de gloire de Barclay dans les années 1970 et d’un salon de musique désuet à l’étage correspondant exactement à “l’ambiance cotonneuse recherchée”. “Yann comme moi étions à l’affût de la spatialisation et des silences dans les chansons.” Avec, une fois n’est pas coutume, le temps devant soi : vingt-cinq jours de prise avec cinq musiciens qui avaient déjà collaboré avec Dominique A mais jamais ensemble. Un premier morceau sert de galop d’essai commun : Dernier appel de la forêt. Après “quelques sueurs froides”, le chanteur entend que la mayonnaise prend singulièrement.
“J’aimais l’idée que le groupe s’installe au fur et à mesure des minutes, j’avais envie d’une rythmique talk talkienne, très jazz pop. L’intelligence du batteur Étienne Bonhomme et du contrebassiste Sébastien Boisseau, qui n’avait pourtant jamais enregistré de chansons, a fonctionné à merveille. Sans deviner ce que le groupe allait produire comme sons, je savais juste que je ne voulais pas jouer de guitare pour endosser pleinement le rôle de l’interprète. Sans réitérer certaines erreurs du passé, comme sur Tout sera comme avant.” Pas étonnant que l’intéressé cite son œuvre inachevée de 2004, quand il avait souhaité absolument travailler avec Jean Lamoot, l’architecte sonore de L’Imprudence (2002) de Bashung, ce chef-d’œuvre crépusculaire qui obnubilait alors Dominique A jour et nuit.
“J’ai fini par faire mon disque seventies à la Pink Floyd !”
Dans l’appétence pour l’écriture musicale et le caractère organique, on pourrait rapprocher Le Monde réel de L’Horizon (2006) et, bien sûr, de Vers les lueurs (2012) puisque c’est le même arrangeur, David Euverte, qui officie sur ces deux disques à dix ans d’intervalle. “David propose toujours des pistes inattendues, s’enthousiasme Dominique. Ce sont trois albums joués où l’idée du collectif est primordiale. Dans le temps passé comme dans la méthode employée, j’ai fini par faire mon disque seventies à la Pink Floyd !”
Conçu comme une œuvre circulaire, avec un titre conclusif qui fait la boucle avec celui d’ouverture (exactement d’ailleurs comme sur Saint-Clair de Benjamin Biolay), Le Monde réel happe dès le premier morceau, long de sept minutes étourdissantes : Dernier appel de la forêt, où Dominique A devient plus interprète que jamais de ses propres chansons. Des Nouvelles du monde lointain au Désaccord des éléments, le chanteur ausculte le réel qui l’entoure, dans une écriture toujours moins métaphorique.
“Ce que nous disent les roches, mon amour/C’est qu’elles se foutent de nous, mon amour”, s’amuse-t-il dans Les Roches, pour pointer la vision souvent ethnocentrée de la fin du monde. Véritablement dans son monde musical, Dominique A impressionne encore une fois par son pouvoir d’attraction et sa force d’évocation, comme sur Au bord de la mer sous la pluie en point d’orgue final d’une beauté rare.
Le Monde réel (Cinq7/Wagram). Sortie le 16 septembre. En tournée française à partir du 11 novembre et le 26 janvier à Paris (L’Olympia). Livre Le Présent impossible (L’Iconopop). En librairie le 15 septembre.
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