Sous son état civil, le génie bohémien de Thousand poursuit sa cavale pop, littéraire et sensuelle dans une grandiose embardée solo. Sublime.
La Bonne Aventure est le premier album de Stéphane Milochevitch. La Bonne Aventure est aussi tout sauf le premier album de Stéphane Milochevitch. Des années durant, celui-ci a porté l’étendard Thousand, véhicule de son talent d’auteur pop et terreau sur lequel ont poussé deux fleurs vénéneuses, nourries par une bascule vers la langue de Rimbaud : Le Tunnel végétal (2018) et Au paradis (2020).
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Aujourd’hui, ce grand fantasmeur de chansons charnelles et radioactives affiche son blaze sur la pochette, mais La Bonne Aventure vient parfaitement compléter la trilogie entamée avec les deux chefs-d’œuvre suscités.
Une guitare et une voix aussi solitaires qu’abîmées
Si la cruciale Emma Broughton est partie donner ailleurs de la voix sous l’alias Blumi, on retrouve entre autres Olivier Marguerit et le velouté de sa basse élastique, insufflant aux compositions enivrantes de Milochevitch un allant qui parle aux jambes.
C’est pourtant dans le dénuement que s’ouvre l’album : une guitare et une voix aussi solitaires qu’abîmées (Le Clou dans le bois de la croix), au bord de l’épuisement pour l’évocation d’un souvenir trouble de Claudia Schiffer en larmes dans The Blackout (1997) d’Abel Ferrara.
Des titres dont on sait tout de suite qu’ils ne nous lâcheront plus jamais
Ce mélange de réminiscences, dont on ne sait si elles sont intimes ou codées, et de références aussi sacrées que profanes (plus loin, il sera question de la Merguez partie des Musclés, ailleurs de Pline l’Ancien) est le premier indice d’un nouveau labyrinthe thousandesque.
Le second ne tarde pas : depuis Le Tunnel végétal, Milochevitch place toujours en deuxième position une bombe pop, de La Vie de mes sœurs à Jeune Femme à l’ibis, le genre de titres dont on sait tout de suite qu’ils ne nous lâcheront plus jamais – ici, ce sera Comme un aigle, le premier single choisi.
L’œuvre de Stéphane Milochevitch avance en boucles
La couleur de cette Bonne Aventure est en partie donnée par des violons rappelant celui de Scarlet Rivera au fil du Desire (1976) de Bob Dylan. Il souffle en effet sur cet album voyageur (on y a un flirt à la frontière, on y franchit un pont naturel, on y prend la route des Saintes-Maries-de-la-Mer) un air gitan sous le regard de Sara la noire.
Enchevêtrement d’échos internes – d’une chanson à l’autre, d’un album à l’autre – textuellement et musicalement, l’œuvre de Stéphane Milochevitch avance en boucles qui deviennent spirales, ouvertes aux parasitages féconds.
Le Pont naturel se mue à mi-parcours en hybride du Frontier Index de Silver Jews, comme John Allyn Smith Sails d’Okkervil River phagocytait le Sloop John B. des Beach Boys. Stéphane Milochevitch partage d’ailleurs avec Will Sheff une écriture lettrée et torrentielle, où les vérités surgissent d’un dédale de mensonges. Et toujours ce flirt avec l’obscénité qui finit, suave, par se crasher dans le sublime.
En avant-dernière station du chemin, Mississippi rêveur, porté par l’allègre cavalcade de flûtes de Pan superbement imperturbables sous l’orage électrique des guitares, rejoint Le Nombre de la bête et Le Rêve du cheval au rang des plus beaux flux de ce mélodiste capiteux. Avec ce nouveau sans-faute, l’ex-Thousand se fait un nom pour au moins mille ans.
La Bonne Aventure (Talitres/L’Autre Distribution). Sortie le 13 octobre. Concert au Point Éphémère, Paris, le 23 novembre.
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