L’ouverture du festival Banlieues Bleues à Epinay-sur-Seine, ce samedi 25 février, était pour beaucoup l’occasion de découvrir sur scène le dernier fils de Fela Kuti : Seun, 22 ans, toutes ses dents et une troublante ressemblance avec son illustre géniteur. Les quelques milliers de personnes présentes ce soir-là ? dont la plupart, trop jeunes, n’ont […]
L’ouverture du festival Banlieues Bleues à Epinay-sur-Seine, ce samedi 25 février, était pour beaucoup l’occasion de découvrir sur scène le dernier fils de Fela Kuti : Seun, 22 ans, toutes ses dents et une troublante ressemblance avec son illustre géniteur. Les quelques milliers de personnes présentes ce soir-là ? dont la plupart, trop jeunes, n’ont jamais vu Fela ? eurent ainsi deux heures durant l’illusion de vivre cette expérience cruciale, initiatique, qu’était un concert du Black President nigérian disparu en 1997, à 59 ans.
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Mais plus symbolique et significatif était la présence exceptionnelle, durant cette soirée, de Tony Allen, le batteur qui accompagna Fela pendant les quinze années les plus créatives de sa turbulente carrière. Tony fut pour ainsi dire le Premier ministre du Président, et le co-inventeur de cette musique monumentale, triomphante, orgasmique : l’afro-beat.
Pour Tony, l’après-Fela ressemblera assez à l’après-James Brown pour le saxophoniste Maceo Parker, soit la même chose mais en pleine lumière. Le batteur tire ainsi une rafale d’albums avec ses anciens collègues d’Afrika 70 ? dont l’épatant Progress ?, et accompagne Manu Dibango, Ray Lema et King Sunny Ade. La dernière décennie le verra céder aux sirènes de l’expérimentation avec deux albums pour le label Comet, Black Voices et HomeCooking, qui mélangent plutôt habilement l’afro-beat au dub et au hip-hop, même si ce virage n’inspire aujourd’hui à Tony que des regrets.
Même mal assaisonné, HomeCooking lui aura au moins permis de croiser la route de Damon Albarn, qui chante sur un titre, Every Season. Le rôle d’Albarn se révélera vite décisif, puisque Lagos No Shaking, avec lequel Tony Allen signe son retour en fanfare aux fondamentaux de l’afro-beat, paraît sur Honest Jon’s, label créé par le chanteur de Blur.
Signe que la boucle se devait d’être bouclée, les sessions furent réalisées dans l’ancien studio Decca, transformé en auberge nigériane avec la présence des saxophonistes Baba Ani et Show Boy, et la contribution des trois principaux interprètes donnant à l’ensemble son identité multiple et transgénérationnelle. Omololu Ogunleye, 25 ans, chante ce qui pourrait être le tube afro-beat de l’été, One Tree ; Yinka Davies fait merveille sur Morose et Losun avec une voix vintage soul ; enfin Fatai Rolling Dollar, 76 ans, se révèle avec Ise Nla être un probable Compay Segundo nigérian.
Dans Lagos No Shaking figurent deux morceaux traditionnels, Awa Na Re et Gbedu, histoire de bien remonter le fleuve jusqu’à la source. Quant au reste, c’est de l’afro-beat comme on n’en avait pas écouté depuis’ Fela : rythmiques souples et puissantes qui tournent sur elles-mêmes et vous attirent à la manière d’un tourbillon en pleine mer, guitares qui cocottent à mort, sections de cuivres monumentales à faire chuter les remparts de Jéricho et même la muraille de Chine. Avant que la musique ne devienne l’arme du futur , comme le prophétisait Fela, on est sûr avec Lagos No Shaking, le meilleur disque de Tony Allen, que l’afro-beat est d’abord la musique du présent.
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