A 36 ans, sous « Les Dessous féminins », il a caché un goût pour le sexe imparfait, une mélancolie française envoûtante et une dolce vita en pente douce.
Lafayette a beau avoir choisi ce blase sur un sweat-shirt ramené d’Italie, il ne porte pas le nom d’un général au hasard. Par deux fois au moins, il nous aura mis les poils au garde- à-vous et logé une balle en plein cœur. Il y a trois ans, sa réinvention (le mot remix est trop faible) du magnétique Le Chrome et le Coton de Jérôme Echenoz a transformé une pub pour voiture en féerie urbaine d’un chic absolu. Et puis, avant l’été, La Mélancolie française est devenu l’hymne intime de tous ceux qui refusent de laisser ce territoire commun aux seules mains de l’affreux Eric Zemmour.
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Inventoriant les gloires (la fusée Ariane, Erik Satie, la Résistance) et les ratés (l’Algérie) du “roman national”, la galerie de Lafayette est par ailleurs luxueusement mise en scène, entre la mélancolie de François de Roubaix et celle du Katerine des débuts.
“J’avais un petit boulot à La Défense, où je devais faire des synthèses de l’actualité pour Médiamétrie, explique-t-il. Je bouffais des chaînes info, avec ce débat permanent sur l’identité, les racines de la France. J’ai croisé ça avec ce sentiment que l’on éprouve en se baladant dans Paris, lorsqu’on est entouré de tout ce lustre français un peu écrasant, un peu pompeux, et ça a donné ça. J’aurais pu l’appeler ‘La Mythologie française’.”
« Le regret que l’on ne se projette pas vers l’avenir”
Il n’est alors pas au courant que Zemmour a écrit un essai putride baptisé La Mélancolie française mais décide de garder le titre : “Lui s’inscrit complètement dans cette mélancolie. Moi, je suis au contraire dans le regret que l’on ne se projette pas vers l’avenir.”
Plus jeune, Lafayette avait le regard tourné dans le rétro, et hors de France, vers cette Angleterre fantasmée des sixties, en british dans le texte. Avec Severin, il forme One-Two, très bon groupe d’obédience pop francophile qui laisse deux albums avant de voir s’approcher une “dead end street” qui n’est pas celle des Kinks.
“On a senti que le chant en anglais nous privait des nuances qu’on voulait faire passer. Et puis lui avait envie d’aller vers l’acoustique, le jeu en groupe, moi au contraire je m’orientais vers les boîtes à rythmes et les synthés.”
Turbulant et charmeur
La séparation à l’amiable aboutit aujourd’hui à deux horizons en effet contraires : Severin donne dans la chanson française cool à la Mathieu Boogaerts (le récent Ça ira tu verras), Lafayette dans la pyrotechnie synthétique et le carambolage de genres et d’époques avec Les Dessous féminins. Un premier véritable album après une série de ep, La Trilogie amoureuse, où filtraient déjà des titres turbulents et charmeurs comme Eros automatique ou La Glanda, façon Eric Rohmer période Elli & Jacno. Le vieux lion de la Nouvelle Vague est d’ailleurs cité dans le titre d’intro de l’album, Une fille, un été, et cette habileté dont fait preuve Lafayette lorsqu’il manie la fausse légèreté (Décapotable), la masculinité troublée (Les Dessous féminins) ou le questionnement existentiel (Je perds la boussole) n’est pas sans rapport avec des contes moraux adaptés à l’ère de Facebook et de Tinder.
“Ces morceaux sont un assemblage de quatre ans de maquettes, ça peut paraître un peu dissonant mais quand je dézoome j’y trouve une certaine harmonie d’ensemble.”
De bonnes idées un peu choquantes
Pour coaguler sa musique autour de quelques idées fortes, Lafayette a fait appel à Fred Pallem, expert en musique de films et de genres, qui a su accorder les sons exacts, y compris certains un peu limite, pour faire des Dessous féminins un objet pop à la fois futuriste et régressif, référencé (Christophe, Chamfort en modèles) mais transgressif, moderne, transgénique. L’emploi de l’Auto-Tune sur deux morceaux, par exemple, n’est pas qu’un artifice d’époque, c’est également une façon d’immoler le bon goût ambiant de la chanson post yé-yé et néo-Desireless en lui collant un chewing-gum dans ses doudous.
“J’ai voulu essayer l’Auto-Tune dans des ballades pop pour voir ce que ça donnait, et si j’ai trouvé au début le résultat choquant, j’ai pensé à cette phrase de Marcel Duchamp qui dit qu’en art une idée qui ne choque pas n’est pas une bonne idée.”
Il y a des tonnes de bonnes idées un peu choquantes sur Les Dessous féminins, comme les accords plaqués estampillés FM 80 de la chanson-titre, ou la suavité un peu torve de Endless Summer ou La Glanda, que n’aurait pas reniée le Sébastien Tellier en pleine montée hormonale de Sexuality. Lafayette revendique pour sa part un héritage assez vaste qui part de Boris Vian – “sa manière d’écrire des chansons littéraires et drôles à la fois m’a encouragé à me mettre au français” – jusqu’à Bertrand Burgalat, dont on retrouve l’écho sur La mort c’est mauvais genre ou Instantané sur la banquise, petites capsules hors du temps qui confèrent à l’album un charme lunaire particulier. Pas la peine de lui trouver une étiquette, Lafayette nous a mâché le travail : la mélancolie française. Pas mieux.
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