Désormais plein aux as et installé à Neuilly, l’ex-taulard Lacrim déroule une nouvelle vie bourrée de projets.
A 32 ans, tu es sensiblement plus vieux que la majorité des rappeurs qui ont du succès aujourd’hui – à l’exception de Booba. Avec quel rap français as-tu grandi ?
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Lacrim – Je suis de la génération NTM. J’ai été fan de NTM, j’ai été fan d’IAM, puis j’ai découvert la Fonky Family et la Mafia K’1 Fry. Kery James ou Le Rat Luciano m’ont marqué à vie ; Mode de vie béton style, le premier disque de Luciano, je l’ai acheté 50 fois : cassé, rayé, perdu, volé… Je l’ai racheté à chaque fois. IAM a également beaucoup pesé dans mon amour du rap. Né sous la même étoile ou Petit frère, ça parlait de moi : le petit qui casse les voitures dans le clip de Petit frère, c’est moi. Je faisais plein de bêtises, des “trucs de fou”, comme on dit…
Cela t’a coûté quelques années de placard. Tu es un voyou mais il y a un paradoxe dans tes textes : tu racontes peu de choses sur ce sujet, alors que la majorité de tes pairs fantasment sur le banditisme…
Dans mes chansons, je ne peux pas me le permettre. Je crois que c’est parce que j’ai vécu ces choses et que j’ai choisi de prendre de la distance par rapport à ça que je peux en parler de manière simple. Cette vie n’était pas drôle, dans le fond, alors à quoi bon en rajouter ?
En termes de revenus, par exemple, la vie de bandit n’est-elle pas plus rentable que celle de rappeur ?
L’argent de la drogue peut être parfois plus abondant que celui qui provient de la vente de disques mais il est aussi beaucoup plus stressant. Certains le vivent bien mais pour moi, ce n’est pas une vie. Il y a dix ans, j’étais sur les nerfs en permanence, j’avais 4 téléphones portables, je ne pensais plus, je ne réfléchissais plus. Je bossais tout le temps, tous les jours. Je n’étais jamais chez moi, il n’y avait que l’argent et les affaires qui comptaient. C’est oppressant.
Je n’ai jamais fait le calcul mais je constate que je suis beaucoup plus serein aujourd’hui, et cela n’a pas de prix. Le vrai changement, c’est lorsque tu te rends comptes que tu peux faire ce que tu veux de ton argent parce qu’il est légal, alors que lorsque ton argent provient de circuits illégaux, il est difficile à dépenser. Tu vis dans une économie souterraine et tes revenus doivent y retourner. Désormais, je construis pour moi-même et pour ma famille. Et comme je gagne bien ma vie, je peux faire à peu près ce que je veux.
Que fais-tu de “tout cet oseille” ? Tu es dépensier ?
Pas vraiment. Je ne côtoie pas le milieu du rap français et ses envies parfois grandiloquentes. J’ai acheté un appartement dans le XVIe arrondissement et j’ai inscrit mes enfants dans une belle école. J’aime les fringues et j’aime les bons restaurants mais en dehors de ça je fais attention à mon capital. Je le place de manière rigoureuse dans différents projets dont je ne peux pas parler ici et j’éduque mes enfants afin que lorsqu’ils en bénéficieront, ils ne le dilapident pas en deux ans… Je construis des choses pérennes et ça me rend heureux.
C’est une attitude très différente de celle des premières stars du rap français, qui ont dilapidé leur fortune assez rapidement…
Je bénéficie a posteriori de leur expérience malheureuse. Et je suis à bonne école puisque le patron de Def Jam, Benjamin Chulvanij, a vécu cette époque : il a vu ces artistes perdre leur argent et nous en parlons parfois. Il est prévenant sur ce sujet et il voit bien que je n’ai pas envie de perdre le mien.
Tu sembles humble et serein, voire sérieux. Est-ce à cela qu’ont servi tes années de prison ?
Oui et non. La dernière année d’incarcération m’a beaucoup servi mais les précédentes ont été beaucoup moins utiles. A l’époque de mes premières incarcérations, je manquais de maturité. Lors de la dernière j’avais en revanche un but : j’étais réinséré, je me lançais dans la musique et le fait de ne pas pouvoir m’y consacrer pleinement m’a énormément frustré. Cela m’a beaucoup fait réfléchir sur le temps que j’étais en train de perdre. La souffrance que représente la prison est quelque chose qui ne peut pas être compris tant qu’on ne l’a pas vécu.
Il demeure encore, dans ton disque, une sensation d’oppression, l’idée que tu es encore potentiellement épié par la police ou la justice… Ressens-tu encore ce stress ?
Non, car je sais exactement ce dont je suis redevable. Je sais ce que j’ai fait et je n’ai rien oublié. Par contre, je sais qu’il faut faire attention avec ce que l’on raconte dans le rap.
Tes textes t’ont-il déjà causé du tort ?
Il m’est déjà arrivé de répondre d’une action qui n’avait rien a voir avec la musique mais on me ressortait un texte de rap en disant : “Vous dites que vous n’avez pas fait cela, mais en 2011, vous avez dit telle chose dans tel texte…” Ce sont des situations très difficile à gérer. Heureusement, le tribunal est un lieu de débat où tu peux répondre, t’expliquer, où un avocat te défend, où le débat est contradictoire.
Dans le rap, les carrières sont assez courtes. Envisages-tu la fin du succès ?
Je prends de l’avance. J’ai cette sensation que le succès est quelque chose d’éphémère, de volatil, sur lequel tu ne dois pas compter. La véritable problématique, c’est que mon fils a aujourd’hui 7 ans. Mais dans 8 ou 10 ans, il faudra que le train de vie que je lui assure aujourd’hui demeure le même et c’est là que se pose la question de la pérennité, à la fois de ton succès mais aussi de tes finances. C’est quelque chose auquel je pense beaucoup et c’est la raison pour laquelle je suis économe. Mais dans dix ans, je ferais autre chose que du rap…
Lacrim Force et Honneur
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