L’introspection, la mélancolie, son rapport au public et avec SCH : Lacrim se livre aux « Inrocks » à l’occasion de la sortie de son troisième album éponyme.
Tu sors Lacrim, un double album après bientôt dix ans de carrière. Que contient-il et pourquoi ce titre ?
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Lacrim – C’est un album déterminant pour moi dans la mesure où il fallait que je me renouvelle artistiquement. Nous sommes en 2019, il y a beaucoup de musique qui a été produite ces dernières années… J’avais 20 titres sous la main et le format du double-album est celui qui me paraissait le plus juste pour ne tomber dans l’ennui. On a essayé d’équilibrer les deux tracklists par rapport à un sentiment d’humeur : un peu de soleil, un peu de dark, etc.
Deux humeurs caractérisées par deux pochettes : peux-tu les décrire ?
Elles correspondent à deux époques de ma vie. Sans ce que tu peux voir sur la pochette numéro 1, tu n’aurais jamais pu voir devant toi le Lacrim d’aujourd’hui, qui est représentée par la pochette numéro 2. Je compte bien démontrer que j’ai toujours aussi faim et que je ne vais pas m’arrêter là. La détermination est mon moteur.
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Après Corleone qui t’a fait connaître et Force et honneur à ta sortie de prison, ce troisième album représente-t-il celui de l’introspection à tes yeux ?
Pas forcément car ma philosophie, c’est de ne regarder que devant. J’ai vécu une année 2018 très forte sur le plan émotionnel : j’ai rencontré beaucoup d’artistes, j’ai voyagé dans de nombreux pays, etc. De quoi largement remplir cet album. J’ai pris le temps de faire cet album.
On y ressent une certaine mélancolie… Notamment sur Kounti, en featuring avec Cheb Mami
Bien sûr et il y en a d’autres comme Adjida ou 26 décembre 1999. C’est une des humeurs par lesquelles je suis passé cette année. Mais à la différence du passé justement, j’ai essayé de séparer mes émotions. J’ai assumé toutes les humeurs par lesquelles je suis passé sur cette album. Je n’avais plus envie de me protéger derrière une carapace.
26 décembre 1999, à quoi correspond cette date pour toi ?
Je me rappelle très bien de ce jour, lorsque une énorme tempête a touché la France. Je me rappelle d’où j’ai dormi, de comment j’ai passé cette journée. J’avais 14 ans et c’était une époque chaotique pour moi. Avec le recul, quand je vois un môme de cet âge, je me dis qu’il n’a pas les facultés, la conscience nécessaire pour réfléchir. On n’est pas suffisamment armé à cet âge. Moi je me sentais fort mais ce n’était que de l’inconscience. On vit dans un monde de loups et j’ai la chance d’être toujours debout, en vie. C’était vraiment très chaotique, sombre.
Qu’est-ce qui t’a protégé selon toi ?
J’ai su tirer les leçons des expériences que j’ai vécues. J’ai toujours fait très attention. Dans le fond, je n’ai jamais été quelqu’un de mauvais ; j’ai toujours agi par nécessité. Je suis croyant et je pense que cela a aussi joué.
Pourquoi as-tu choisi d’inviter Oxmo Puccino sur ce morceau ?
Il n’y a personne d’autre qui pouvait parler du thème abordé. Il n’y avait que lui.
On pense forcément à son mythique L’enfant seul…
Exactement. C’est mon mon morceau préféré. A l’époque où j’ai écrit ce morceau, je l’écoutais plusieurs fois par semaine, et encore aujourd’hui il est toujours quelque part en moi.
Le premier single de cet album, c’est Jon Snow. Pourquoi ce choix ?
Après un silence de plus d’un an, je voulais revenir avec un morceau qui fasse peur à tout le monde. J’avais prévu une autre version du clip pour ce morceau, tourné en Colombie. Mais en rentrant chez moi, en le visionnant, je me suis rendu compte que la couleur chaude du clip ne fonctionnait pas avec la musique. On a réfléchi, on a pensé au froid, aux ours et à la neige et on s’est dit : « Pourquoi pas la Roumanie ? » J’avais un contact sur place. On s’y est rendu et même si on n’a pas trouvé d’ours, on a réussi à faire quelque chose d’accompli en trois jours seulement.
Il y a eu une grosse vague de soutien suite à ta seconde incarcération. Qu’est-ce que ça t’a apporté sachant que tu n’étais pas au courant de ça au moment où tu étais en prison ?
Oui, j’avais fait le choix de ne pas avoir de téléphone portable sur moi et de me couper de l’extérieur. Je vais te raconter une anecdote qui illustre cette époque : j’ai eu Jamel Debbouze au téléphone, il y a environ un an. Et il m’a donné l’impression d’avoir mal pris mon silence. Alors que je n’avais pas vu son appel, tout simplement. Je m’en voulais car toutes ces personnes qui m’ont envoyé des messages avaient un sentiment de bonté envers moi, de bienveillance. Ça m’a fait beaucoup de bien.
Sur les réseaux sociaux, l’annonce du morceau Jvlius a fait beaucoup parler. Est-ce qu’il y a un lien direct avec l’album de SCH ?
Il y a un lien par rapport au nom de son album, c’est évident mais il n’y a rien d’autre à comprendre. Je vais te le dire : on n’est pas les meilleurs amis du monde avec SCH mais il n’y a pas de guerre, à proprement dit. Lui-même ne sait pas que j’ai baptisé ce morceau Jvlius. Et si tu regardes un morceau comme RS 6 ou Jon Snow, j’aurais aussi pu les appeler Jvlius. Il n’y a rien à l’intérieur. C’est un morceau d’égo trip. Mais je vais voir à la fin de la semaine combien de stream va faire le morceau. Les gens, avant de comprendre qu’il n’y a rien, vont avoir la curiosité d’aller l’écouter. J’ai envie de voir si les gens vont apprécier les morceaux par leur qualité ou s’ils vont d’abord se faire guider par leur cerveau, leur subconscient pour aller voir la soi-disant merde qui s’est passé entre SCH et moi. S’il y avait clash ou pas clash. Les clashs, c’est un truc qui nourrit les gens. Sauf que là, il n’y a rien à croquer.
Penses-tu que les clashs desservent le rap ? On pense forcément à ce combat que veulent organiser Kaaris et Booba dans le désormais célèbre « Octogone »…
Je n’en pense rien. Chacun sa technique, sa façon de travailler. Certains veulent répondre aux attaques : je ne peux pas prendre le parti de l’un ou l’autre. En tout cas, si j’ai un clash avec quelqu’un, je n’aurai pas besoin d’aller piquer tous les jours sur internet. Mais ça n’engage que moi. Prends l’exemple de Jvlius. Il n’y a qu’à quelques fans proches, ceux qui m’envoient des messages tous les jours et à qui ça tient à cœur, que j’ai expliqué qu’il n’y avait rien, aucun clash. Ça n’engage que moi encore une fois, mais le morceau RS 6 est à mes yeux encore plus costaud que Jvlius. Et du coup, on va voir lequel des deux marchera le mieux.
Sur Instagram, tu as commenté les deux couvertures de ton nouvel album, où tu évoques « le poids de la souffrance ». Qu’est-ce qui, selon toi, permettrait de t’en libérer ?
Ce n’est pas facile mais je m’en libère petit à petit. Des épreuves m’arrivent tous les jours. Mais je vais bien mieux qu’avant. Pour autant, je n’oublie pas. C’est ce qui me permet de ne pas péter les plombs et de garder la tête sur les épaules.
Dans le documentaire qu’il a mis en ligne, Vald explique qu’« être hardcore aujourd’hui, c’est montrer sa fragilité ». Es-tu d’accord avec lui ?
Quelque part oui, il a raison. Si tu es vraiment un vrai rappeur, tu dois fendre la carapace et, quoi qu’il arrive, donner aux gens : du privé, du personnel. Et ça te rend quelque part fragile parce qu’à partir de la, ils connaissent tes fêlures internes. Plusieurs morceaux m’ont tenu à coeur sur ce double album, sur lesquels ils peuvent comprendre que je ne suis pas qu’un mec sans cœur. Simplement, j’ai un filtre.
C’est à dire ?
Avant de me voir, certaines personnes peuvent se dire que je suis quelqu’un de très dur, très fermé. Mais je suis humain et je mets une barrière. Il faut qu’il me croise pour qu’ils prennent conscience de ça.
As-tu parfois l’impression d’être mal perçu ?
Je le suis et je le sais. Tous les jours. Mais je le prends bien, j’aime bien ça. Ce que j’ai en moi, au fond de mon être, je le garde pour mes proches. Le reste, je m’en fous. Je respecte tout le monde, c’est le principal.
« Lacrim » double-album de 20 titres, sortie le 8 février 2019 En tournée dans toute la France en octobre 2019.
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