Depuis quelques mois, les documents les plus étonnants sur la période 1914-45 s’accumulent pour le plus grand bonheur des historiens et collectionneurs. En 97, le livre de Claude Ribouillault, La Musique au fusil : avec les poilus de la Grande Guerre (Editions du Rouergue), rappelait que, loin de sombrer dans le désert culturel, la Première […]
Depuis quelques mois, les documents les plus étonnants sur la période 1914-45 s’accumulent pour le plus grand bonheur des historiens et collectionneurs. En 97, le livre de Claude Ribouillault, La Musique au fusil : avec les poilus de la Grande Guerre (Editions du Rouergue), rappelait que, loin de sombrer dans le désert culturel, la Première Guerre suscita les manifestations musicales les plus incroyables ; au front, on confectionna des instruments de fortune (des violons à partir de boîtes à cigares, des mandolines en caisse de casque…). Dans la tourmente, nationalités et clivages sociaux étaient devenus des notions dérisoires. Jamais la musique n’avait paru si essentielle à l’humanité. Récemment, le label Frémeaux publiait un triple album regorgeant de documents sonores édifiants sur la Grande Guerre. Avec la compilation concoctée par Forlane, on passe de l’Armistice à la frustration du lucide Daladier revenant la queue basse des accords de Munich ; le naïf enthousiasme du pâle Chamberlain qui y répond reflète la volonté d’une opinion française de ne pas enterrer les années folles. A l’aube de la drôle de guerre, la chanson est aussi enjouée et insouciante qu’en 36. On pense aller pendre son linge là où vous savez. Mais c’est bientôt derrière la ligne Maginot qu’on se morfond pendant qu’Hitler colonise l’Europe : l’attente commence. Elle a généré peut-être les plus belles chansons de la décennie, dénuées de sentimentalité, avec cette vague inquiétude qui perce. Lys Gauty, avec ses grands yeux et sa robe blanche, en est le symbole. Après avoir chanté l’exilé Kurt Weill, elle ira chanter en Allemagne, comme d’autres. Sous l’ère Pétain, le pas de l’oie est à l’honneur ; la France n’est plus très belle, alors on chante des lieux communs qui ont pour eux d’être entraînants. André Dassary s’y prête volontiers. On se pâme des accents de Tino Rossi. Plus tard, la concurrence du swing s’annonce sévère. Pourtant, Lucienne Delyle entretient la tradition de la chanson d’amour. Cette compilation sympa se dégoupille en six volumes, une centaine de chansons qui sont la mémoire vivante d’une époque partagée entre insouciance et indulgence, entre fierté et compromission.