Son premier album, « Petite amie », est un coup de force. Portrait de l’une des tenantes de la nouvelle garde de la chanson française.
Récemment, Juliette Armanet a mis de l’ordre dans ses papiers. Elle est retombée sur des lettres, des petits mots accumulés depuis l’adolescence, lorsqu’elle vivait encore dans une maison de la banlieue de Lille avec ses parents et ses deux grands frères. Sur l’un d’eux, la jeune fille, alors en troisième, avait écrit, répondant à la question “Que voulez-vous faire plus tard ?” : “Journaliste et chanteuse.” Un rêve de jeune fille, une position totale, Alice devant et derrière le miroir. Mettre en valeur les autres ou être soi dans la lumière ?
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Longtemps, Juliette Armanet n’aura pas tranché, menant de front journalisme et chanson, sans totalement oser se jeter dans son art. “Mon père m’a toujours dit : ‘Il faut consentir à soi-même’. C’est le gros de mon chemin”, raconte la jeune femme que l’on retrouve à la brasserie Barbès, à deux pas de l’appartement qu’elle partage avec son copain, dans le XVIIIe arrondissement parisien. “J’ai mis pas mal de paravents, par pudeur, pour pas qu’on me prenne au sérieux et sûrement pour me protéger de mes émotions.”
On le sent très vite : chez Juliette Armanet, 33 ans, les émotions sont fortes, très fortes, et peuvent tout emporter. C’est cette puissance et cette vérité de soi jetées si justement, si sincèrement sur partition qui font aujourd’hui la beauté effarante de ses chansons, de ses piano-voix à l’écriture ciselée qui touchent en plein cœur : L’Amour en solitaire, Alexandre, Manque d’amour… autant de titres rassemblés sur son premier album, Petite amie, qui sort ce printemps.
Tantôt disco, tantôt piano solo, il est un des plus beaux qu’il vous sera donné d’écouter, côté français, cette année. Il rappelle les grandes heures de la chanson française, des Souchon, Berger, Sheller. Mais pas seulement. Il y a une vraie singularité chez Armanet, une façon très personnelle d’écrire et de déporter la variété française vers des influences contemporaines, de la twister. “J’ai mis du temps à trouver un ton décalé. Je ne voulais pas faire vieille chanteuse, avoir l’air trop tradi. J’avais envie que mes amis écoutent ma musique.”
Fishbach, dont Armanet a cosigné le single Un autre que moi sur son album A ta merci, déclare : “C’est une super auteur. Je n’arrivais pas à terminer, je butais sur le couplet. Juliette a amené de la subtilité, de la tendresse.”
« La musique a toujours été au centre de mon éducation »
Juliette Armanet fait ses premières gammes avant même de savoir lire. Dans la maison lilloise, un piano trône au milieu du salon et est considéré comme “un membre de la famille”. Son père, pianiste de jazz, a l’habitude de jouer ses compositions devant sa femme et ses enfants. “Mes parents se sont aussi aimés grâce à la musique. Ma mère est tombée amoureuse de mon père quand il jouait du piano et avait les cheveux longs. J’ai une image de ma mère accoudée, en train de regarder mon père au clavier. Elle aussi jouait, tous les matins avant de partir au boulot. La musique a toujours été au centre de mon éducation, de ma famille.”
A l’adolescence, le piano devient l’ami, le confident, la chambre d’écho des premiers émois. Elle enregistre ses premières maquettes, aidée par son père, dans le studio que ce dernier a installé dans le jardin. “C’était impudique car du coup, il savait complètement ce que je vivais. Mais on n’en parlait pas. Tomber amoureuse m’a donné envie de composer”, se souvient la jeune femme qui n’a pas beaucoup changé depuis. Sur son album, tous les titres sont des fragments de discours amoureux, tantôt flamboyants, tantôt doux-amers. “Mais écrit-on sur autre chose ?”, demande-t-elle.
A 22 ans, après s’être fait refouler du conservatoire – elle adore la comédie française et rêve de devenir comédienne –, elle s’installe avec une amie, à Paris, rue Lamarck, et s’achète son premier piano. Elle vient de préparer Normale sup qu’elle foire à l’oral. “Des études qui m’en ont mis dans le citron.” Elle enchaîne avec une maîtrise de lettres sur Romain Gary.
Des pochettes signées de son ami et artiste contemporain Théo Mercier
Parallèlement, elle compose son premier disque : Ma boucherie amoureuse. Sur la pochette, Juliette pose de profil avec un groin de cochon. L’image est signée Théo Mercier. L’artiste contemporain est l’un de ses proches et il signera par la suite les pochettes de tous ses ep et celle de son premier album (lire encadré page suivante). Elle trouve un agent, Jean-Max Rivière, qui a écrit pour Françoise Hardy ou Brigitte Bardot. Il l’emmène faire des essais chez Warner. A l’ancienne, Armanet s’assied au piano et joue devant les directeurs artistiques maison. “Les mecs étaient chauds, mais je n’aimais pas ce que je faisais. J’ai réécouté, c’est insoutenable, explique-t-elle en éclatant de rire. C’est superthéâtral, expressionniste, gratiné, façon tradition montmartroise. Je ne m’y reconnais plus du tout.”
Elle trouve un boulot chez Arte et commence rapidement à signer des documentaires pour la chaîne franco-allemande. Elle travaille souvent avec Yvonne, une jeune femme mariée à un dénommé Yuksek. Juliette continue la musique, qu’elle vit alors un peu comme une passion honteuse. “J’emmenais mon synthé partout sur les tournages pour pouvoir jouer le soir. Yvonne me disait : ‘OK, mais il faut que personne ne s’en rende compte.’ ça ne faisait pas sérieux. J’avais également invité mon boss de chez Arte à un concert. Je crois que les gens me trouvaient un peu bizarre.”
En 2014, elle est en finale des inRocKs lab
Un jour, déclic : elle compose le très kate-bushien Manque d’amour et a enfin la sensation de trouver son style. “Quelque chose d’ironico-mélo-romantico-touchant. Avec des paroles ciselées, des collages, des métaphores et quelque chose d’hypersincère. Je manquais vraiment d’amour à cette époque. J’avais été quittée, j’avais quitté, je ne trouvais pas.” Dans la foulée, elle compose L’Amour en solitaire, un de ses plus beaux titres, une scie digne du Amoureuse de Sanson.
Tout comme Manque d’amour, la chanson parle de la difficulté d’aimer et questionne l’héritage de Mai 68. “La révolution sexuelle, ce n’est pas qu’une question de jouissance permise. C’est aussi une perte de repères énorme”, explique-t-elle. Pour imager sa pensée, elle raconte une scène d’A nos amours, de Maurice Pialat : “Sandrine Bonnaire baise avec tout le monde, se lève et dit : ‘Je n’arrive pas aimer’. Le mec lui répond : ‘T’as le cœur sec’. Je pense qu’il y avait de ça pour moi, à cette période. Je me sentais libre, je rencontrais des hommes, des femmes. Mais ça ne m’atteignait pas, ou alors au mauvais endroit. C’est ça aussi l’amour en solitaire. Avoir le cœur sec.”
Le titre, qu’elle enregistre dans une version electro produite par Yuksek, la fait décoller. En 2014, elle est en finale des inRocKs lab, remportés par Feu ! Chatterton. Elle sort un premier ep sur lequel elle pose en pull angora rose, avec des bras d’homme poilus. Barclay la signe. Armanet s’attelle alors à la réalisation de ce “vrai” premier album dont elle rêve depuis quinze ans. “Trouver un producteur n’a pas été facile. Je ne voulais pas d’un truc premier degré, electro, chébran, bulle de savon. Je ne voulais pas dénaturer le propos, mais je ne voulais pas non plus passer de l’autre côté du miroir et tomber dans la variétoche popu qui peut être assez intolérable. Il fallait trouver la bonne porte d’entrée variété chic.” Aurélie Saada, moitié des Brigitte dont Armanet fait alors la première partie, trouve la perle rare. Il s’appelle Marlon B. et comprend tout de suite quelle position adopter face à elle. “Je suis allée chez de grands producteurs que j’ai envoyé chier. En arrivant dans son studio, je me suis tout de suite sentie bien. Il a compris que j’avais besoin d’être impliquée dans la production du disque. Je pense aussi qu’il aimait les titres. Bon, ensuite, ça a été un bras de fer, on s’est pas mal pris la tête.”
Avec ce Petite amie, on est face à une vraie rencontre
Avec Antoine Pesle, elle imagine les arrangements : il soufflera sur le disque un vent californien, un hédonisme fin 70, début 80. Et aussi quelque chose de très français, très cinégénique. On pense à L’Accident (un joyau qui projette immédiatement dans un Claude Sautet) ou encore à La Carte postale, sublime ballade lacrymale dont l’arpège rappelle le Je suis venu te dire que je m’en vais de Gainsbourg. “Je me suis dit que ça devait être une rengaine, raconte-t-elle. La guitare, un son sec. Et puis, il y a le saxo improvisé par un musicien que l’on avait convié pour un autre titre. On était hystérique de joie. Il a apporté un truc ‘commissaire Maigret’. Tu as la sensation de voir Adjani se prendre une gifle.”
Improvisé en groupe, Star triste convoque l’ombre d’un Eddy Mitchell fin de carrière, tandis que Cavalier seule ou A la guerre comme à l’amour, qu’elle a composés seule au synthé, apportent des tonalités plus electro, plus froides. Juste, cristalline, la voix d’Armanet prend parfois des accents jazz appris dans l’enfance (L’Indien). Débarrassée de ces oripeaux electro, pleinement assumée dans un très beau piano-voix, elle livre avec L’Amour en solitaire l’un des highlights de ce disque extrêmement travaillé, pensé, sensible.
On sait, dès les premiers contacts avec ce Petite amie, qu’on est face à une vraie rencontre. Qu’il y aura des coups de foudre, des emballements, des tentations extérieures, des temps pour reprendre son souffle. Qu’on souffrira peut-être. Mais qu’on ne passera à côté pour rien au monde.
album Petite amie (Barclay), sortie le 7 avril
concerts le 22 avril au Printemps de Bourges, le 18 mai à Bruxelles (Nuits Botanique), le 16 juillet à La Rochelle (Francofolies)
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