Alors que la gare des Mines devrait fermer ses portes à l’automne 2019, le collectif Mu va rouvrir l’espace extérieur de la Station pour une nouvelle saison riche en événements. L’occasion de revenir sur ses trois années d’existence fulgurante.
Le compte à rebours qui défile sur la page d’accueil du site web de la Station ne trompe pas. À l’heure où l’on écrit ces lignes, l’ancienne gare à charbon de la porte d’Aubervilliers, lieu d’occupation du collectif Mu depuis 2016, devrait fermer ses portes dans 222 jours très exactement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Alors que l’équipe de la salle s’apprête à lancer sa quatrième saison en plein air à partir du 1er mai, lancement qui sera notamment marqué par un week-end d’ouverture au programme fort alléchant, on est allé rejoindre sur place le programmateur Eric Stil, ancien du Garage Mu, et Valentin Toqué, chargé de production, pour s’intéresser aux différents temps forts de ces prochains mois, s’interroger sur l’avenir du lieu et évoquer l’état actuel de la vie nocturne parisienne.
Les espaces extérieurs vont rouvrir début mai jusqu’à l’automne. Après ça, la gare des Mines fermera ses portes. Faut-il donc s’attendre à ce que cette nouvelle saison soit la dernière de la Station ?
Eric Stil – On arrête en novembre normalement.
Valentin Toqué – La parcelle où se trouve la Station, qui appartient à la SNCF, sera revendue à la Mairie de Paris. Une arène olympique va être construite porte de la Chapelle pour les J.O 2024. C’est encore à l’étude mais à terme, la Mairie devrait complétement réaménager la zone. Donc maintenant, on est en pleine discussion. On essaye de voir si on peut rester et si oui, pourquoi, comment, combien de temps… Pour le moment, on n’a pas plus de certitudes que d’incertitudes.
Eric – On y croit en tout cas !
À l’origine, vous deviez occuper les lieux pour six mois…
Eric – En 2015, on a répondu à l’appel à projet lancé par la SNCF pour occuper cette ancienne gare à charbon. On devait rester six mois, pas plus. Quand on a commencé, il n’y avait rien. À un mois et demi de l’ouverture, c’était encore un taudis. On n’était même pas sûrs d’ouvrir. Au final, il y avait juste une scène et une sono puis petit à petit, la programmation s’est faite en fonction. C’était comme un festival de six mois, du mercredi au dimanche.
Valentin – Ensuite, la SNCF nous a d’abord rallongé d’un an, puis une seconde fois pour qu’on puisse rester encore un an et demi, jusqu’à novembre 2019. La Station est avant tout un lieu d’occupation temporaire. On n’a pas de velléité à rester vingt ans non plus, mais on a eu des investissements plutôt lourds pour mettre aux normes l’espace intérieur, acheter du matériel, etc.
Depuis 2016, la Station s’est fortement développée et propose des activités diversifiées. Au départ, l’idée n’était donc pas d’ouvrir uniquement un lieu de concerts ?
Valentin – On a surtout été connus pour ça au début, même si la Station ne concerne pas uniquement la musique. On essaye de proposer un programme pour d’autres publics, de défendre certains sujets avec des animations, des ateliers, des talks et des performances réalisées avec nos résidents. Plusieurs collectifs sont basés ici comme BrutPop par exemple, fondé entre autres par le chanteur de Cheveu, David Lemoine, qui organise des ateliers musicaux destinés à des publics en situation de handicap et qui s’intéresse à la fabrication d’instruments adaptés.
Eric – Parmi ces projets, on a également lancé en 2017 notre propre radio, Station Station, avec pas mal d’émissions. C’est d’ailleurs en train de devenir un média transversal puisqu’on édite un webzine tous les mois, avec de l’écrit, des interviews et des vidéos.
Et vous accueillez aussi plusieurs groupes en résidence…
Valentin – C’est venu un peu comme ça. On avait une pièce vide et on a décidé d’en faire un studio de répét. Au même moment, Geoffroy de Jessica93 cherchait un local. Il nous a aidés à le monter et c’était lancé. Là, quatre groupes se partagent le studio : Bryan’s Magic Tears, Bracco, Jessica93 et le Villejuif Underground.
Eric – On limite aux groupes cohérents avec notre programmation. Et puis eux, ils sont tous potes donc ils se prêtent le matos, gèrent leur planning, répètent les uns après les autres et on n’a pas à courir derrière !
D’ailleurs, le Villejuif Underground viendra jouer pour la release party de son dernier album lors du premier week-end en plein air de la Station. Avez-vous prévu un programme particulier pour fêter la réouverture des extérieurs ?
Valentin – On commence le 1er mai avec notre « journée du droit à la paresse », vu que c’est la fête du travail. L’idée est de proposer une réflexion autour du travail, avec des performances, des workshops, des prises de paroles et de la musique… Ensuite, on enchaîne les 3 et 4 mai avec un week-end de concerts qui résume tout le côté éclectique de ce que l’on peut faire à la Station. On a programmé Zombie Zombie, Dollkraut, le Villejuif, Joakim, Tonn3rr3 ou encore Mauvais Œil, un grand mélange qui reflète notre programmation de manière générale.
Eric – Ce premier week-end donne le ton de ce que l’on veut faire cette saison. À partir de mai, ce sera un festival par mois, tels que le Garage Mu en juillet ou Station électronique en août, et on organisera différents temps avec des résidences de collectifs qui nous ont accompagnés depuis le début comme Berlinons Paris et 75021. Surtout, on va sûrement faire des programmations un peu plus internationales.
Les premiers noms pour le Garage Mu festival en sont déjà la preuve…
Eric – Oui, on va avoir des groupes un peu plus gros dont Metz et Bo Ningen.
Valentin – Le Garage Mu festival est notre temps fort rock de l’été et c’est notre bébé depuis le début. C’est cool parce qu’on a un peu les moyens de programmer des groupes venus de l’étranger. On essaye de ramener plein d’artistes internationaux, qui ne sont jamais passés à la Station, pour mettre en valeur une scène un peu abrasive.
Vous allez aussi accueillir une fois de plus la nouvelle édition d’Ideal trouble, le festival créé par Etienne Blanchot après son départ de Villette Sonique, début 2018. Comment êtes-vous venus à bosser ensemble ?
Eric – Pour moi, Villette Sonique est le meilleur festival qui ait jamais eu lieu à Paris sur la durée. Ce truc en plein air, cet aspect défricheur et tous ces groupes programmés… C’était assez génial, le festival d’inspiration totale. Je connais Etienne depuis vingt ans et lorsqu’il s’est séparé de Villette Sonique, on a tout de suite enchaîné. Il avait envie de faire autre chose. Comme il venait souvent à la Station et qu’il aimait le lieu, ça s’est fait hyper naturellement.
Justement, Villette Sonique est surtout réputée pour sa programmation défricheuse et pointue. En ce qui concerne la Station, j’ai lu que tu faisais en sorte de toujours garder une programmation plutôt radicale. Qu’est-ce que tu entends par là ?
Eric – Le mot radical est peut-être un peu fort mais disons que j’essaye de garder le plaisir. Je me dis, « si j’allais à telle soirée, est-ce que j’y prendrai du plaisir ? » Ici, il n’y a pas de contrainte, ni de condition normative de soirées. C’est un lieu où tu peux programmer un groupe de noise le week-end à 2h du matin.
Valentin – À la base, Éric gérait la programmation du Garage Mu depuis des années. C’était plus des musiques un peu brutes, plutôt rock, expérimentales, garage ou punk. On est donc arrivés à la Station avec cette esthétique-là.
Eric – Ça peut être rédhibitoire aussi. Je pense que la programmation draine un public, même si c’est un public différent selon nos soirées, que ce soit les concerts ou le club. Il y a ce côté filtre. On n’est pas à la recherche d’un public d’afterwork ou de house que tu peux entendre partout. Beaucoup de gens viennent à la Station les yeux fermés et ils savent pourquoi ils font le déplacement.
Pourtant, au fil des mois, et avec l’aménagement de l’espace intérieur, la Station a commencé à attirer de plus en plus de monde. Vous avez donc forcément ressenti l’arrivée d’un nouveau public ?
Valentin – La nuit appelle un public et une atmosphère différents. Avant, on faisait des soirées jusque 2h et la première année, il y avait surtout une base de gens qui revenait, des gens qui étaient dans le vrai digging de musique. Depuis que nous avons les autorisations pour ouvrir la nuit, notre public s’est beaucoup élargi, ça s’est sûr. À Paris, il y a moins de lieux ouverts jusque 7h du matin et les gens sont à la recherche d’endroits où faire la fête.
Eric – Ça dépend de la programmation et des collectifs qui passent. Mais on resserre justement un peu la vis parce qu’on a eu quelques trucs auxquels on n’était pas trop habitués. On reste ouverts mais il faut que les gens soient respectueux les uns envers les autres, avec les filles, avec les queers, qu’il n’y ait pas de violence ou de choses qui puissent rebuter le public cool de la Station.
Depuis trois ans, le lieu ne désemplit pas. Comment vous expliquez ce succès ?
Eric – Je pense qu’on est arrivés à un bon moment. Petit à petit, il y a eu un effet de chaîne. Tout le monde se disait « c’est quoi cette Station ? » et le côté excitant d’être en plein air à Paris, avec une sono correcte, a aussi joué.
Valentin – L’hiver, les soirées club marchent bien. Ça nous intéresse d’expérimenter là-dessus. On voulait proposer notre vision du clubbing comme avec nos soirées « anti-clubs », une fois par mois, où l’on présente un line-up un peu foutraque mais vachement axé sur la musique live.
Eric – On est partis du principe que c’était une espèce de cliché de croire que les gens ont forcément envie d’écouter de l’électro le samedi soir.
Valentin – Ou alors qu’un concert ne se voit uniquement qu’en début de soirée. Avec notre ouverture de nuit, on a pu se permettre quasiment tous les formats qu’on voulait. On venait plutôt de la scène rock et on connaissait un peu la scène électro mais je pense qu’on a réussi à mêler ces deux scènes.
Le fait que de plus en plus de monde se déplace est aussi assez révélateur de l’état actuel de la nuit parisienne…
Eric – Maintenant, les gens sont prêts à aller un peu plus loin, à se donner un peu plus de mal.
Valentin – Ils ont capté que c’était devenu très compliqué de sortir intra-muros et de pouvoir faire la fête assez librement.
Eric – Il y a eu tellement de restrictions alors forcément… Même dans le moindre café : tu vas fumer dehors, on te donne un verre en plastique, on te demande de ne pas faire de bruit. Tu es tout le temps harcelé. Idem dans les boîtes, avec les fumoirs, etc. Au Garage Mu par exemple, on faisait un seul truc par mois et on fermait à minuit. Mais à chaque concert, on se disait que c’était le dernier, à cause d’un problème qu’on pouvait avoir avec le voisinage. À la Station, on n’a pas vraiment de voisins et on gère assez sainement le truc.
Éric, tu as connu les raves dans les années 1990 et suivi l’évolution de la vie nocturne à Paris. Aujourd’hui, quel est ton ressenti vis-à-vis de tout ça ?
Eric – Les premières raves que j’ai faites à Paris étaient un peu dans ce même contexte. L’idée était de faire des fêtes en banlieue, dans des endroits improbables, d’occuper des entrepôts pour une nuit, ce genre de choses… Et finalement, c’est comme une espèce de cycle ou un retour aux sources. C’est revenu. Il y a aussi le phénomène nouveau des collectifs. Avant les jeunes faisaient des groupes, maintenant ils font des collectifs. Ils se sont vachement investis dans l’organisation de soirées. Il y a une vraie demande, surtout de la part du public électro.
Qu’avez-vous retenu de ces trois ans ?
Valentin – Je trouve ça déjà inespéré qu’on ait pu ouvrir. On était tellement à deux doigts de ne jamais faire ce projet et c’était risqué pour tout un tas de raisons mais ça l’a fait. C’était encore un chantier total le jour de l’ouverture et quand j’ai vu jouer Cheveu, je me suis dit que c’était bon, que le truc marchait vraiment.
Eric – Au Garage Mu, les concerts étaient très anecdotiques et on avait trois festivals par an. À la Station, on est passés à un festival par mois et des concerts tout le temps. On a programmé 1500 artistes au total et les plus beaux moments restent ceux où l’on a été le plus surpris.
Valentin – Surtout, on peut faire passer un groupe presque inconnu au bataillon, qui joue habituellement dans des lieux plus petits, et il y a aura 500 personnes pour venir le voir. C’est gratifiant et les gens ont la curiosité de se déplacer.
Propos recueillis par Valentin Geny
Toutes les informations sur les évènements de cette nouvelle saison sont à retrouver ici.
Et notre hors-série électro est disponible ici.
{"type":"Banniere-Basse"}