Les pointures du rap sont souvent difficiles à réunir sous un même line-up. Questions d’agendas certes, mais aussi de contrats paraît-il. Pourtant, ce qu’ont réalisé Yard et le Pitchfork hier soir pourrait faire tourner de l’œil n’importe quel programmateur. Récit d’une soirée que les amateurs de rap et de jazz n’auraient pas dû rater.
Pour sa neuvième édition, le pendant parisien du festival Pitchfork s’est allié à Yard pour concocter une soirée rap qu’il était difficile de rater lorsqu’on est amateur du genre. Une arrivée sur site qui se fait en entendant des gars en costard cravate retourner la petite halle. Original. Retro X, comme l’excellent sean d’ailleurs, était chargé d’ouvrir des hostilités qui devaient durer jusqu’à 1h30 du matin. Chose promise chose due, même s’il faut souligner que ce bordel annoncé (dans le bon sens du terme) a réellement pris forme lors du concert d’Ezra Collective. Car oui, en plus de fédérer la fine fleur du rap game, cette soirée de festival mettait aussi l’Angleterre à l’honneur, notamment sa scène jazz actuellement hyperactive. Maillots de foot du Nigeria sur les épaules, les cinq musiciens sont parvenus à bouger un public encore un poil clairsemé et pas forcément venu entendre les envolées jazz et caribéennes du groupe. Ezra Collective sait faire voyager : Brésil, Guadeloupe, Cuba, New York… On retrouve dans leur musique une volée de destinations qui s’entremêlent. Rien à voir avec ce qui se profile alors sur la scène d’en face.
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slowthai fracasse tout, Mura Masa déçoit
Depuis ses premiers sons sortis sur Youtube en 2016, slowthai a bien grandi. S’il est toujours cette petite boule de nerfs tatouée, le natif de Northampton a su prendre de la prestance sur scène et surtout du muscle. Enchaînant les titres de son premier album sorti cette année, Nothing Great About Britain – un joli carton outre-Manche qui ne lui a cependant pas fait passer le cap tant désiré en nos contrées – et les premières sorties qui l’ont fait sortir du bois telles que TN Biscuit, le bonhomme est en terrain conquis. Une confiance grandissante qui l’autorise même à se désaper dès le troisième titre, arborant un caleçon à son effigie, et rien d’autre. Il faut dire qu’au milieu des pogos, désormais la norme dans tout concert de rap qui se respecte, la chaleur se fait déjà ressentir.
Elle va pourtant vite redescendre avec l’arrivée sur la grande scène de Mura Masa, producteur britannique qui doit sa présence ici à sa capacité à collaborer avec des artistes rap comme Jay Prince, slowthai ou A$ap Rocky. Seulement voilà, le CV ne fait pas tout. Seul sur scène, rejoint par des artistes invités, Alex Crossan de son vrai nom parvient à condenser toutes les recettes d’un son chill et déjà daté en un seul concert. On retrouve les voix pitchées et éculées, les mélodies envoyées aux steel-drums, et les drops téléphonés. Il ne manque rien, et paradoxalement, il n’y a presque rien à retenir. Une heure difficile où le producteur originaire de Guernesey aura surtout montré que, parfois, le seul en scène se transforme en argument de vente et rien d’autre.
The Comet Is Coming en roue libre
Flohio, elle, le manie bien mieux. Epaulée par son dj, certes, elle a livré une performance semblable à celle offerte lors de la dernière édition de We Love Green : balèze. Eternel espoir de la scène anglaise, peinant à franchir le cap commercialement, son expérience du live et sa côte de sympathie française ont fait de sa prestation l’une des valeurs sûres de cette édition 2019. Tout comme le patron Kojey Radical, qui a littéralement explosé la scène du Studio, sorte d’amphithéâtre toujours trop petit, où il vaut mieux arriver tôt pour se faire une place, et prier pour qu’un chemin se dégage à la sortie. De la sueur, une énergie de dingue.
Pas de répit ni de repos, la programmation enchaîne avec celui qui a certainement sorti le meilleur projet rap de l’année en Angleterre, AJ Tracey. Arrivé dans la petite halle, l’excitation laisse place à la déception lorsqu’il est annoncé que le rappeur annule sa venue pour des « problèmes personnels ». Pas de séance de rattrapage parisienne prévue pour l’instant, mais nul doute que ce rendez-vous manqué est fait pour être reprogrammé prochainement. Une petite pause qui permet d’être d’attaque pour assister à une dinguerie dans le Studio : le concert de The Comet Is Coming, dont l’album Trust In The Lifeforce Of The Deep Mystery a été l’un des temps forts jazz de l’année bientôt écoulée. Il sera également l’un des temps forts de la soirée. Leadé par Shabaka Hutchings, le trio a distillé une performance hors des normes, effrénée et libre, à son image, privilégiant, à raison, les titres de sa dernière sortie. Quitter la salle en cours pour foncer aux concerts suivants fut un déchirement.
Le loup blanc montre les crocs
Car sur la grande scène, Hamza a déjà démarré son récital. Rien de nouveau, le Belge continue d’allier play-back et drops un peu attendus en tête d’affiche, la qualité intrinsèque de sa musique continuant à le sauver en live. Malgré tout l’amour que l’on a pour lui, les concerts se suivent et se ressemblent, il faut l’avouer, sans rien enlever au kiffe que reste cette véritable messe.
Autre son de cloche du côté d’Ateyaba aussi attendu que son prochain album. L’homme se fait plutôt rare, sorte de loup blanc du rap français, insaisissable et concourant certainement au titre de mec le plus stylé du rap game, apparaissant comme un messie en do-rag. Rock With You, PDRB, Lgbiri, Majeur en l’air, et plusieurs exclues sont venus confirmer le statut du bonhomme, qui a la garantie d’être l’artiste qui a le plus fini dans les stories Instagram de la soirée.
Les valeurs sûres étaient donc de sortie. Skepta en est une, assurément. Patron actuel de la scène anglaise avec son dernier album Ignorance Is Bliss, le Londonien conforte dans l’idée qu’un hommage à l’Angleterre ne peut pas se faire sans lui. Ce serait une aberration. Alors il vient, voit, et vainc un public conquis d’avance. Pas besoin d’en faire trop. Sobre (on notera tout de même l’absence presque totale de notion scénographique sur l’ensemble des concerts), il laisse à Zola le soin de terminer une soirée où la France et l’Angleterre se sont brillamment alliées.
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