En pleine reconfiguration, la scène artistique française s’est révélée cette année pleine de vitalité et d’entrain. Un élan affaibli par l’immobilisme de l’institution face aux attaques subies par les artistes contemporains.
F in 2000, on avait essuyé nos pieds sur le dance-floor de Sadurday Night Fever, installé par Piotr Uklanski à Beaubourg pour l’expo Au-delà du spectacle. Fin 2001, on aura porté les badges eighties de Bruno Peinado, suivi une discomobile suisse et vu le remake hystérique du même Saturday Night Fever par Brice Dellsperger. Peu de chose sans doute, sinon l’indice d’une montée de fièvre, d’une énergie qui a traversé tout au long de l’année la scène artistique française. Une vitalité importée notamment de Nantes, avec son école des beaux-arts, son post-diplôme dynamique, avec le lieu Ipso Facto, la Zoo Galerie et les revues gratuites 01 et 02 du galeriste Patrick Joly, avec ses filles comme Maroussia Rebecq et Virginie Barré et ses garçons comme Mircea Cantor, Laurent Moriceau ou Fabien Verschaere. Une petite troupe rapidement connectée à la scène suisse, toujours très active elle aussi, et qui est allée distribuer son energy drink entre Lyon, Marseille et Nice, dont la Villa Arson accueillait cet été les sitcoms dégueulasses de Paul McCarthy.
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Encore plus au sud, pour la Biennale de Venise, Pierre Huyghe a installé dans les Giardini son féérique Château de Turing, installation multiplexe, miraculeuse d’intelligence et de radicalité, et parmi les plus belles de l’année, uvre d’art totale dont les portes vitrées, les mécanismes intermittents et les jeux de reflets n’étaient pas sans évoquer les architectures-pièges de l’américain Dan Graham, qui fit l’objet cet été d’une rétrospective particulièrement bienvenue au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Mais, au-delà de cette filiation avec l’art conceptuel des années 70, rappelons ici encore que Pierre Huyghe revisitait dans ce château fantomatique une (pas si) drôle d’époque : les années 75-80, temps du choc pétrolier et du désenchantement économique après les Trente Glorieuses, début des années d’hiver.
Comme si chaque changement de décennie, et a fortiori de siècle, s’identifiait à ces autres périodes de transition, temps suspendus, à mi-chemin de la déprime et de l’euphorie, l’année 2001 se partage entre inquiétude et énergie. Si on assiste à une vraie reconfiguration de la scène artistique, avec l’essor non seulement d’une nouvelle génération d’artistes, mais aussi à l’éclosion de nouveaux lieux comme La Salle de bains, le Rectangle et les Subsistances à Lyon, Immanences à Paris, Mains d’ uvres à Saint-Ouen, mais encore de galeristes comme Chez Valentin ou Hervé Loevenbruck, et de critiques d’art comme Alexis Vaillant ou Pascal Beausse, on enregistre parallèlement l’immobilisme d’un milieu de l’art incapable de faire face aux attaques renouvelées dont fait l’objet la création contemporaine : pour preuve de stagnation, à Bordeaux le procès de l’expo Présumés Innocents est toujours en cours d’instruction, tandis que personne ne s’émeut des démissions forcées des deux directrices de lieux d’exposition à Toulon et Mandelieu-la-Napoule.
Absence de réaction de l’Etat et du milieu artistique : est-il utile de préciser que l’ouverture prochaine et très attendue de deux nouveaux centres d’art à Paris, le Palais de Tokyo et le Plateau, n’a pas pour fonction d’effacer d’autres pertes, ni de nous faire oublier les dysfonctionnements du ministère de la Culture et de la DAP, tout juste bons à donner le numéro de téléphone d’un bon avocat aux personnes en difficulté ? Revival disco ou choc pétrolier : côté économie de l’art, difficile de trancher. Par exemple, avant le 11 septembre, ça sentait bon les années 80 dans les galeries de New York, Turin ou Zurich, où l’on assiste à un retour d’argent, de jet-set et de prix mirobolants… Côté institutions, la tendance est à un ultralibéralisme, très néo-80 lui aussi, qui réconcilie avec les musées l’entreprise et ses capitaines d’industrie : spectaculaire projet de Fondation Pinault sur l’île Seguin, soirées Gucci et cocktail LVMH à Beaubourg, entrisme anisé de Ricard, organisateur de l’inénarrable Bal Jaune, soirée d’inauguration de la Fiac, et parasitant dans ses propres lieux la pourtant belle exposition de Jean-Yves Jouannais, si bien nommée Lost in the Supermarket.
Si les artistes ont montré bien des réticences à absorber d’ores et déjà dans leurs productions l’attaque du World Trade Center, les effets économiques du 11 septembre ont déjà des conséquences inquiétantes : pour exemple, les actuelles difficultés financières du Guggenheim de New York, et de ses succursales de Bilbao et Las Vegas, en sont la preuve la plus spectaculaire. Dans ce contexte, la palme du combat revient cette année à Jeremy Deller : dans la petite ville d’Orgreave, dans le Yorkshire, l’artiste anglais a organisé l’été dernier, avec des acteurs amateurs, une charge de policiers à cheval et un cortège d’ambulances, la reconstitution d’une authentique scène de bataille : le conflit violent qui opposa en juin 1984 les mineurs en grève et la police anglaise. Un remake politique, une remontée aux sources du néolibéralisme. Et surtout un autre revival, pas vraiment disco : face B des années 80.
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