Fils de la pop seventies et de la French Touch, il chamboule la
chanson française avec un chef-d’oeuvre glaçant, entre humour
noir et rire jaune.
Son époustouflant single France Culture s’est épanoui comme le bouquet final d’une décennie fertile pour la chanson française réinventée, plantant au passage une épine inattendue dans le débat sur l’identité nationale. Arnaud Fleurent-Didier, né sous Giscard (1974), y fait l’inventaire d’une éducation dans la moyenne bourgeoisie française – racisme ordinaire compris – sous la forme d’un slam impavide et glaçant que vient toutefois réchauffer une opulente orchestration pop. Le coup de maître saute à l’oreille ; le texte, sévère mais lucide, transpire moins le règlement de comptes personnel qu’il ne transfuse la lente agonie des illusions post-soixante-huitardes.
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Sur La Reproduction, lumineux album au titre bourdieusien, il secoue encore une fois les mémoires lâches (Mémé 68, Pépé 44) et les culpabilités collectives mais se questionne aussi beaucoup lui-même, avec drôlerie et sans complaisance, sur le sexe, la modernité, la perfection amoureuse et la filiation. Surtout, il laisse échapper ce trop-plein merveilleux qu’il a accumulé en douze années d’anonymat.
Surdoué de l’orchestration, Fleurent-Didier joue de presque tout sur ses disques, fait corps avec un studio-capharnaüm et laisse intelligemment filtrer l’influence cinématographique des Legrand, Morricone ou John Barry sans se sentir pour autant écrasé sous leur poids. La patte bienfaitrice de Stéphane “Alf” Briat (Air, Phoenix) l’a notamment fait sortir de ses habits en soie et satin de vieux garçon en apportant le ressort légèrement funky qui lui faisait défaut auparavant.
Le résultat, en onze vignettes fluides et voluptueuses, doit autant au classicisme français de la chanson baroque qu’à l’euphorie des années French Touch. Sur son label, French Touche (justement), Fleurent-Didier a notamment inventé un concept idéal pour temps de crise (du disque et du reste) : ces fameuses “chansonspoches” qui tiennent sur un CD en forme de carte de crédit.
L’une d’entre elles, qui a vaguement fait sa renommée il y a cinq ans, mettait en musique le discours de Dominique de Villepin à l’ONU. En 1998, son premier fait d’armes, Chansons françaises, était sorti sous un nom aussi sexy qu’un bénitier, Notre-Dame. Un raccourci, rapide, pourrait faire passer AFD pour un jeune UMP sans complexe, alors que la politique semble être la seule chose – avec l’odeur des filles pendant l’amour (L’Origine du monde) – qui parvienne à le déboussoler.
La Reproduction approfondit et affine son Portrait du jeune homme en artiste, titre d’un prometteur premier album solo paru en 2003. Là, il aspirait déjà à Vivre autrement avec des accents à la Ferré réformés par la pop anglaise. Sur cette esquisse fort louable, il se lamentait sur son sort (Mon disque dort) et rêvait, goguenard, d’“une interview dans Les Inrocks” (Rock critique).
Fleurent-Didier, après le coup de semonce de France Culture, termine son disque par un Si on se dit pas tout tendrement adressé à son paternel, sans un gramme de sensiblerie mais avec une sensibilité qui émeut aux larmes. La Reproduction, pour cette coda magnifique comme pour tout ce qui le précède, se donne comme un acte important, le premier de la décennie.
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