De sa voix spectrale, ni masculine ni féminine, Planningtorock poursuit avec Powerhouse sa réflexion pop et politique sur la non-binarité. Un retour magistral gagnant.
Planningtorock a fait une croix sur les pronoms “il/elle” et souhaite que l’on emploie désormais “they/them” – traduits en français par le néologisme non binaire “iel”. Cheveux longs ondulés, fine moustache, regard vert d’eau, Jam Rostron, né.e Janine, alias Planningtorock, est de retour avec un album plus politique que jamais, Powerhouse, douze ans après sa première sortie, Have It All. “Inclassable, à la fois inspiré par The Residents, Kate Bush, l’opéra-rock et les délires de Matthew Barney, Have It All détonne dans le paysage musical actuel et dessine un univers sonore et visuel fort, étrange et inquiétant”, écrivait-on alors à son propos. Les mêmes adjectifs et références pourraient être aujourd’hui repris, sans évoquer ni l’ennui ni la stagnation mais plutôt une belle continuation d’un travail au long cours autour de la pop et de la politique, Planningtorock les enlaçant soigneusement, fermement.
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Powerhouse (“pile électrique”) est traversé de r’n’b, de house et de dance mais ne se départit jamais de son goût pour l’expérimentation, la surprise, le détour. On le sent dans cette voix spectrale, ni masculine ni féminine, que l’on aurait pensée bourrée d’Auto-Tune alors qu’elle surgit du pitch shifting, un effet audio permettant de modifier la fréquence d’une voix afin qu’elle sonne plus aiguë ou plus grave que son timbre d’origine.
Entre amour, politique et identité queer
Echappant au genre comme au cadre spatiotemporel, d’une profondeur universelle, d’une gravité robotique, cette voix imprime paradoxalement sa bouleversante humanité à l’album. Autant vous prévenir : on n’en sort pas indemne. Le génie de Powerhouse réside dans sa capacité à concilier une efficace sobriété et des mélodies synthétiques de club à des expérimentations vocales hyper politiques. Comme lorsque Jam répète inlassablement “non-binary femme” sur un beat tout aussi répétitif, tel un mantra, une invitation, une réflexion en plein dance-floor. Ou comme ce morceau titré Transome, mot-valise réunissant “trans” et “handsome” (beau/belle), que lui a inspiré le chorégraphe allemand Ian Kaler qui l’emploie dans sa performance LIVFE.
“J’écris délibérément des chansons pop queer afin de parler de politique, d’amour et de sexe queer, de partager mes histoires au sujet des familles et de l’identité queer, de parler de handicap, de l’autisme de ma sœur et du long combat mené par ma mère pour garantir le droit de ma sœur à avoir une qualité de vie. Echanger nos histoires de vie, nos idées politiques est si important. C’est ainsi que l’on grandit, que l’on apprend, que l’on se soutient les uns les autres. Donc si les gens parlent, hourra !”, nous explique-t-iel.
La musique comme premier amour
Originaire du village de Dunscar, Jam Rostron accompagne sa grande sœur, fan de house, danser à l’Haçienda à Manchester, à une quarantaine de kilomètres de là. Mais ne lui parlez ni de Joy Division ni des Smiths : “Je n’ai jamais pu m’identifier à eux, et j’ai toujours trouvé problématique la place historiquement accordée aux groupes de mecs si blancs dans les magazines musicaux.” Jam cite plutôt Erasure, Joyce Sims, Monie Love, Inner City, Salt-N-Pepa, A Guy Called Gerald, Liz Phair. “Ma mère est une grande mélomane et a plein de super disques qu’elle mettait à fond tous les matins. La voir trouver confiance dans la musique était magique. C’est elle qui m’a introduit à son pouvoir émotionnel. J’ai tout de suite su que la musique était mon premier amour et mon ticket de sortie.”
Après avoir quitté l’école à 14 ans, Jam se retrouve à la maison avec sa sœur Beulah, pour s’amuser à créer des mixtapes (comme raconté en spoken words sur le single Beulah Loves Dancing, invitant mère et sœur dans le clip DIY tourné dans la voiture familiale). En 1999, Jam s’installe à Berlin et se construit un petit studio. Planningtorock était né. S’ensuivent des collaborations avec The Knife, l’amitié avec James Murphy, qui sort plusieurs de ses disques chez DFA, comme avec la danseuse Maija Karhunen, atteinte d’un handicap physique, que Jam place au cœur de son récent clip Much to Touch.
Une enfance dans la classe ouvrière
“Powerhouse est un album autobiographique qui m’a fait beaucoup réfléchir à ma vie, à mon éducation et à mon appartenance sociale. J’ai grandi dans la classe ouvrière. Quand j’ai rencontré d’autres producteurs venant essentiellement de la classe moyenne ou supérieure, c’était un challenge car je ne partageais pas leurs références. Je me sentais en décalage. Même aujourd’hui, je peux compter sur les doigts d’une main les producteurs que je connais qui viennent d’un milieu ouvrier.” Côté saut d’obstacles, Planningtorock continue de tout défoncer.
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