Plus question de se cacher derrière le son des autres : Jacno ose une rare sortie en terrain découvert et miné. Pour une fois, tout est dit dans le titre : La Part des anges, cette petite quantité de liquide prélevée à la sortie des tuyaux de cuivre par les distillateurs pour leur consommation personnelle. […]
Plus question de se cacher derrière le son des autres : Jacno ose une rare sortie en terrain découvert et miné.
Pour une fois, tout est dit dans le titre : La Part des anges, cette petite quantité de liquide prélevée à la sortie des tuyaux de cuivre par les distillateurs pour leur consommation personnelle. Toujours du hors d’âge d’ailleurs, comme dans l’armagnac. Pourquoi l’armagnac ? Eh bien parce que ça nous arrange ; parce que c’est au-dessous de la Loire et que Jacno reprend Le Sud de Nino Ferrer, cet exilé qui a trébuché sur un mauvais calibre dans une campagne lotoise. Reprendre Le Sud, cette bonne chanson promue hymne multigénérationnel, personne n’avait encore osé, mais comme Jacno est un type qui surveille sa modestie, il l’a planqué là en titre caché, son Sud à lui chanté limite faux en version piano solo, à brûle-pourpoint, sans filet. Ça cogne, ça crache, sans falbalas, sans arrangements ni special thanks. Cette reprise, Jacno aurait pu s’en faire un titre phare, une de ces bonnes poires à marketing juteuses qui vous relancent un bonhomme et le rajeunit de vingt ans. Non. Jacno ne veut pas entendre parler de tout ça. Douché par la logique du business musical (successivement avec les Stinky Toys et solo au début des années 80), il ne veut plus être qu’un chanteur de passage, un intermittent de la production personnelle, un de ces musiciens de l’ombre, trop discret ou distrait pour se concentrer sur sa carrière.
Pluridisciplinaire par papillonnage, Jacno a toujours préféré les disques des autres (Etienne Daho, Daniel Darc, Françoise Hardy, Lio, Elli Medeiros l’égérie de toujours ou une BO de Rohmer). Ceux où il pouvait intervenir sans trop se livrer, se confronter aux évolutions technologiques sans risques, tanké dans un rôle de producteur ou d’arrangeur « providentiel » par nonchalance. Ses albums sont sa part des anges, des petites quantités de tout, amoureusement embouteillées en une poignée de chansons, pour son propre plaisir, de manière volontairement aléatoire. En entrant dans ce troisième album personnel (en vingt ans !), on ne risque pas le dépaysement. L’univers de Jacno est intact. Avec ses airs de soldat sans joie, il révise ses sujets favoris : gueules cassées, verres vides, cigarettes grillées, cendriers pleins, gorges grises, schizophrénie, doutes, valses-hésitations entre le in et le out et petites guéguerres intimes dans une poésie décalée, un brin laconique où le jeu de mots se pratique sans abus. Musicalement, Jacno le minimaliste a un peu cédé du terrain à l’arrangement bourgeois ; histoire de ne pas partir au front seul, il s’est entouré de quelques voix féminines et d’une pincée de cordes. Rien de bien révolutionnaire : juste un aménagement de l’espace sonore copieusement dominé par ces vieilles bourriques de synthés analogiques qui scotchent ce son typique des années 80 à la française et les bonnes vieilles assises guitare-piano-clavier new-wave, ces grands principes que Jacno a toujours traînés comme son ombre et pour lesquels il a payé le prix fort à l’époque de la dictature moderniste. Trop kitsch, trop naze, trop has-been, il y a dix ans, ce son lui vaudra peut-être aujourd’hui en plein revival une belle reconnaissance, le temps d’un single discoïde d’un autre âge.