L’homme aux bottines rouges. Pianiste, Carles Santos interprétait le répertoire contemporain. Il compose aujourd’hui des spectacles érotiques et grotesques, baroques et minimalistes, avec une furie toute catalane, comme dans La Grenya de Pasqual Picanya repris cette semaine à Maubeuge. Non content de jouer du piano, il le frappe : tantôt avec le coude, tantôt avec […]
L’homme aux bottines rouges. Pianiste, Carles Santos interprétait le répertoire contemporain. Il compose aujourd’hui des spectacles érotiques et grotesques, baroques et minimalistes, avec une furie toute catalane, comme dans La Grenya de Pasqual Picanya repris cette semaine à Maubeuge.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Non content de jouer du piano, il le frappe : tantôt avec le coude, tantôt avec la tête et même le postérieur dans La Grenya de Pasqual Picanya (1990). Quand il danse, avec ses bottines rouges, il enlace sa partenaire, debout sur l’instrument, et crie bien fort son plaisir de jouer. Si le corps ne cesse d’être en représentation chez lui ballet des hommes-volants dans Tramuntana tremens (1992), la sainte piercing-pêcheuse dans La Polpa de santa Percinia de Claviconia (1982), les femmes-godemichés dans La Grenya, le personnage androgyne d’Asdrúbila (1992), les seins géants secoués de spasmes dans Figasantos-Fagotrop (1996) , c’est aussi un instrument à part entière la tête dans Tramuntana, plongée dans une cuvette, éructant un chant d’onomatopées, les fesses-percussions dans La Grenya ou le dos-caisse d’amplification du compositeur dans Figasantos. Chez lui, tout est prétexte à musique, mais théâtralisée : « Avant, la musique n’existait pas au théâtre. C’était les gens de théâtre qui louaient les services de musiciens pour leurs pièces. Avec moi, c’est l’inverse, je loue des gens de théâtre pour faire ma musique. Donc, j’utilise essentiellement la technique théâtrale, et les musiciens qui jouent dans ma troupe viennent faire du théâtre. Je suis assez solitaire dans cette démarche. Beaucoup de gens de théâtre aiment la musique mais, à de rares exceptions, les gens de musique ne s’intéressent guère qu’à leur propre musique. Sauf à l’époque du théâtre musical, au sein de petits axiomes qui partaient toujours de la convention musicale. C’est pour ça que j’ai un pied dans la musique et un autre dans le théâtre : c’est très intéressant de chercher à visualiser la musique, c’est mon credo. »
Né en 1940, Carles Santos a étudié la musique à Barcelone et en Suisse, puis le piano à Paris, avec Marguerite Long et Robert Casadesus. « Au début, j’étais un interprète de Sch nberg, Webern, Bartók, Stockhausen, Cage, etc. Et puis, je suis devenu compositeur à la suite d’un concert en Espagne où j’interprétais Piano phase (1967) de Steve Reich à ma façon c’est-à-dire… jusqu’au bout ! Je ne me souviens plus très bien, mais au bout de trois ou quatre heures peut-être, un commando d’organisateurs est venu m’arracher du piano pour me jeter dans la rue. J’ai raconté ça à Steve Reich, mais il n’a rien compris. Il fallait être en Espagne, à l’époque, pour saisir le piment de cette histoire. Je faisais ce concert à Madrid, en plein franquisme, et je suis catalan. C’était une pièce minimaliste devenant quasiment une pièce politique, un manifeste. Après, je suis parti aux Etats-Unis pour étudier le mouvement Fluxus, qui rassemblait à cette époque l’intelligentsia autour de Marcel Duchamp : John Cage, Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Yoko Ono et La Monte Young. C’était sous la présidence de Carter. J’ai eu la chance de vivre l’une des périodes les plus intéressantes de New York. Reagan est arrivé après ; tout s’est arrêté. A l’époque de Franco, en Espagne, je voulais connaître John Cage. J’avais fantasmé sur le personnage. Et lorsque je l’ai rencontré à New York, je n’ai pas été du tout déçu. Il ne donnait pas de cours de composition et ça, c’était très important , cela montrait qu’il n’était pas en contradiction avec sa personnalité. Je me souviens d’une présentation des Vexations d’Erik Satie dans un lieu gigantesque, qui devait être un stade. Il y avait là, comme lors d’une jam-session, une cinquantaine de pianistes. Plus le public restait longtemps, moins il payait ; et pour les gens qui restaient quatre ou cinq heures, c’était gratuit… Alors, on remboursait ! A cette époque, le mouvement Fluxus était très important, mais également les minimalistes, qui débutaient. Dans cette effervescence, je me suis libéré des contraintes et j’ai trouvé une manière saine et rafraîchissante d’aborder la musique. Avant les Etats-Unis, j’étais un compositeur timide et après, un compositeur très osé et plus timide du tout ! »
Dans la plupart de ses spectacles, les hommes sont le jouet de femmes dominatrices, le fouet à la main, moulées dans des corsets noirs, et en talons aiguilles. Sur scène comme dans la vie, Carles Santos est entouré de femmes. « Les femmes qui me sont proches ne sont pas dominatrices et c’est parfois moi qui le suis trop ; si elles sont dominatrices, c’est uniquement dans la tête. » Omniprésents dans tous ses spectacles, sexualité et érotisme sont chez lui l’enjeu d’une représentation, mais jamais un avilissement du corps et de l’esprit : « La sexualité se rattache à notre quotidien, donc il faut l’incorporer dans le spectacle ; il faut la normaliser. » Pour le public, Santos a définitivement abandonné la musique des autres, qu’il ne joue plus que chez lui : « A part dans mon dernier spectacle, centré sur Bach. Donc, cela m’oblige à beaucoup travailler sa musique. Dans ce spectacle qui s’appelle La Panthère impériale, il y a trois pianistes, plus un claveciniste, une violoniste, un ténor, un comédien et plusieurs sortes de pianos, dont un mécanique que l’on commande à distance et qui fait tout lui-même, jouer, bouger et même danser. Ce spectacle sera créé le 31 mai prochain à Berlin, puis on le donnera au mois de septembre, pendant un mois, à Barcelone. »L’un de ses plus extraordinaires spectacles, La Grenya de Pasqual Picanya, présenté à Valence et à Paris en 1994 et repris cette semaine à Maubeuge, « est en définitive un récital de lieder, avec un pianiste et une soprano, et tout ce qui peut se passer autour de cette combinatoire. L’idée qu’à un moment le pianiste monte dans le piano vient du mouvement Fluxus. Mais j’utilise cette idée à ma manière. Je l’inclus dans mon spectacle, sans la laisser comme une référence historique, un objet trouvé ou un hommage à une avant-garde déjà dépassée. On doit pouvoir encore affirmer que l’on peut jouer avec les pieds. Après tout, pourquoi pas les pieds, ou la tête ? Il n’y a pas de raison de dire que l’on faisait déjà cela au moment du théâtre musical… (un genre magnifié dans les années 70, à une époque de grande contestation, par des compositeurs tels que Georges Aperghis, Mauricio Kagel, Luciano Berio ou György Ligeti). Il faut aujourd’hui inclure l’avant-garde dans le spectacle, et peut-être même en finir avec le mot avant garde. »Inspiré à ses débuts par Miró, pour lequel il a composé plusieurs musiques jouées lors d’expositions et enregistrées à l’occasion de films sur le peintre, Santos est plus proche aujourd’hui de Joan Brossa, « un autre artiste, collaborateur de Miró et ami de Tapiès, qui a influencé beaucoup de gens à Barcelone. Il est à la fois notre père et notre mère, il nous conduit sur un chemin artistique, à la recherche d’une identité et, en même temps, d’un langage universel. » A la question « s’il n’était pas musicien, que serait-il ? », il répond sans hésiter « pêcheur professionnel ». Pour qui connaît ses spectacles, on imagine sans peine qu’il s’agit d’une pêche en eaux troubles… Surréaliste, Santos ? « Vous savez, en Espagne, la réalité est toujours supérieure à la fiction. Alors, le surréalisme, nous le vivons au quotidien. Heureusement, il y a toujours quelque chose qui échappe au contrôle, et c’est tant mieux. »
{"type":"Banniere-Basse"}