Après une série de maxis d’obédience new-yorkaise l’installant dans le paysage du rap français, le rappeur gabonais publie son tout premier album “La Grande désillusion”, à rebours des codes du mainstream.
S’il n’a fondamentalement pas grand-chose à voir avec certain·es de ses contemporain·es estampillé·es “nouvelle génération du rap français”, Benjamin Epps semble partager avec elles et eux une même idée de l’indépendance créative. Débarqué avec perte et fracas en 2020 avec l’EP Le Futur qui témoignait, dès son titre, de son arrogance et de son envie d’en découdre, le rappeur de 27 ans n’hésitait pas, au détour d’une punchline, à attraper Nekfeu et Alpha Wann par le col. Tout portait à croire qu’il continuerait à brûler la chandelle par les deux bouts. Il n’en est rien.
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Ce maxi, comme ceux qui suivront (Fantôme avec chauffeur en 2021, Vous êtes pas contents ? Triplé ! l’an passé), n’étaient finalement qu’un cheval de Troie, un miroir grossissant nous forçant à remarquer Benjamin Epps.
Cheval de Troie
Mais derrière la morgue, les punchlines égotiques – voire foncièrement déplacées –, ce triptyque contenait déjà en germe (Dieu bénisse les enfants, Dans le way…) le cœur de ce que le rappeur gabonais fomentait pour son premier véritable album : une autopsie de son itinéraire. Dès les premiers instants de La Grande désillusion, qui ne sont pas sans rappeler le délire percussif de United In Grief de Kendrick Lamar, Benjamin Epps s’inscrit à la fois dans la même impudeur, la même volonté de prendre son monde à contrepied et le même amour indéfectible pour le format album.
En seulement douze titres – une véritable respiration à l’heure des blockbusters rap français boursouflés –, La Grande désillusion met en scène tout ce que le jeune rappeur avait gardé sous le pied et balaie tous procès en opportunisme (sa voix et son style proche de l’Américain Westside Gunn) et en malhonnêteté (son ego surdimensionné supposément factice). Si l’egotrip n’a pas tout à fait quitté le navire (le cinématique Police à ma porte ou Capitaine flamme), il n’est désormais qu’une partie de la cosmogonie de Benjamin Epps.
Une réussite formelle
Sur des productions empruntant largement aux ornementations de la soul sur lesquelles il s’autorise des refrains chantés qu’on ne lui connaissait pas, invitant son idole Styles P, mais aussi Josman pour l’un des sommets du disque (Très tard le soir) ou encore MC Solaar (Libre) pour enrichir les thématiques de son disque, l’artiste de Libreville se déleste de ses attitudes de pompier pyromane pour s’épanouir dans un alliage de hustling, de spiritualité et d’anthropologie (la précision maladive pour les noms, les lieux et les gestes).
Si l’aventure de Benjamin Epps dans le paysage du rap français avait débuté comme la prise d’otage d’un rappeur nous obligeant à le regarder dans les yeux, contemplant son inexorable ascension, La Grande désillusion – réussite formelle et avènement de l’écriture touchante de son auteur – parachève la métaphore de la plus belle manière : en nous faisant céder aux sirènes du syndrome de Stockholm.
La Grande désillusion (Mocabe Nation/Sony Music). Sorti depuis le 7 avril.
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