Quatre ans après L’âge des possibles, Pascale Ferran signe son retour public au cinéma (samedi 31 mars sur Arte) avec un étonnant documentaire qui transcende allègrement le genre convenu du film musical. A découvrir avec un extrait en vidéo et l’intégrale de l’interview de Pascale Ferran.
En décembre 1998, dans l’intimité feutrée d’un petit studio d’Ocoee, en Floride, le pianiste britannique Tony Hymas et le saxophoniste afro-américain Sam Rivers, enregistraient en duo, sous l’égide de Jean Rochard, producteur des disques nato, une somptueuse déambulation libre et lyrique. Cette musique tendue, vibrante d’énergies contradictoires, d’une extrême mobilité, passant de manière très fluide d’une humeur à une autre, du conflit à la confidence, glissant sur les tonalités en longues phrases enroulées, emmêlées, ponctuées d’intenses échappées belles, allait quelques mois plus tard donner naissance à Winter Garden, l’un des disques les plus poignants de ces dernières années. Deux ans plus tard, c’est soudain une nouvelle dimension de cette uvre qui nous est révélée. Sa face secrète. Son reflet inversé.
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Car pendant que ces deux musiciens inventaient, dans l’instant, l’espace intime de leur rencontre, une minuscule équipe de tournage, scrutait leur visage et leurs gestes, enregistrait la moindre note, le moindre propos, dans l’espoir d’approcher au plus près le mystère de la création. En même temps que la musique prenait corps, en miroir, un film faisait de ce processus la matière même de son projet, influant à son tour sur le contexte, l’humeur des musiciens, et en dernier lieu, la musique en train de se faire. À la tête de ce groupuscule, réalisatrice de ce documentaire sobrement intitulé Quatre jours à Ocoee, Pascale Ferran, invisible sur les écrans depuis L’âge des possibles en 1996, signe là un retour parfaitement inattendu et pour tout dire extraordinairement convaincant. Car si Quatre jours à Ocoee est d’abord un document exceptionnel, l’un des très rares films à échapper à la mythologie du jazz pour tenter de saisir la réalité de ce que c’est que d’inventer de la musique ensemble, son propos dépasse de très loin cette simple dimension.
Ce film, austère de prime abord, dans son sujet, dans son dispositif minimaliste et anti-spectaculaire (un lieu unique, le studio ; un temps bref, ramassé ; deux personnages en quête d’eux-mêmes) s’avère à l’arrivée un passionnant huis clos où se déroulent en temps réel, comme en accéléré, toutes les phases d’une comédie humaine particulièrement riche et touchante. Comme si le studio et la situation faisaient office de caisse de résonance, c’est toute une gamme d’émotions brutes et contradictoires (amour, haine, lâcheté, colère, mauvaise foi, abandon, générosité, découragement, enthousiasme) que le couple Hymas/Rivers traverse l’espace intensément condensé de ces quatre jours de création, sous le regard empathique de la caméra.
Particulièrement habile à nous faire sentir le travail dans toutes ses dimensions (sa souffrance, ses joies, la fatigue, lancinante), Pascale Ferran filme ce qu’elle n’a jamais cessé de filmer depuis Petits arrangements avec les morts : le temps « à l’ uvre ».
Mais là où cette uvre matrice, dans une forme très orchestrée, traitait du deuil et du lien au passé ; là où L’âge des possibles, plus fugué et fluide, parlait du passage à la vie adulte et de ses inévitables projections dans l’avenir, Quatre jours à Ocoee, longue ballade sensitive, se coltine au présent et à son opacité. Avec cette intuition narrative confondante qu’on lui connaît, cet art du montage extrêmement musical, la cinéaste révèle toute la dramaturgie de la scène, pointant le suspense essentiel du processus créatif. Mais pour la première fois, elle ouvre également son cinéma à une nouvelle dimension, à une nouvelle confiance dans l’art de filmer, acceptant d’une certaine manière que le cinéma c’est autant capter le réel que l’organiser. Loin d’être une parenthèse, Quatre jours à Ocoee pourrait bien être un film charnière dans sa toute jeune filmographie.
A découvrir en Real Video, un extrait de Quatre jours à Ocoee, avec l’aimable autorisation d’Agat Films, de Pascale Ferran et d’Arte.
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