Depuis le début des années 2010, les groupes français se voyant affublés de l’étiquette shoegaze (ou se qualifiant comme tels) émergent de toutes parts. On a fouillé dans le brouillard pour savoir si l’effet de mode cachait un véritable courant.
Le shoegaze. Une foutue étiquette éculée qui, à l’âge des tags Bandcamp et soundcloud, connaît pourtant un nouvel âge d’or. Regards tournés vers leurs chaussures, guitares distordues, mur de son, et voix noyées dans la reverb : une nouvelle génération de shoegazers s’approprie les caractéristiques d’un genre grandi par des groupes comme My Bloody Valentine, Slowdive ou Lush avant d’être effacé et aspiré par le raz-de marée britpop dans les années 90.
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Les origines du renouveau
Malgré les efforts du grand psychonaute Anton Newcombe qui s’essaie au shoegaze sur Methodrone en 95, le mouvement finit par tomber dans la marge. Jusqu’à l’annonce de la reformation en grande pompe de My Bloody Valentine, qui se voit programmé à Coachella en 2009 et sort un nouveau disque, m b v, en 2013. D’autres grands noms du genre suivent le pas, comme Slowdive, Ride ou encore Swervedriver. Chacun se retrouvera en tête d’affiche de grands festivals européens, délivrant des concerts nostalgiques (on pense notamment à la magnifique performance de Slowdive à la Villette Sonique 2014).
Ainsi, depuis le début des années 2010, un véritable regain d’intérêt pour la culture shoegaze s’affirme avec de plus en plus de vigueur. On vous épargnera les explications pseudo-sociétales du type : « le monde va mal, donc les jeunes poussent leurs amplis à fond pour faire le plus de bruit possible« . Et même s’il y a peut-être un peu de ça, toujours est-il que l’on assiste à une renaissance du mouvement. Le mot et le genre shoegaze sont remis à toutes les sauces, particulièrement en France.
En 2012, une vague de nouveaux musiciens arrive et fait ses premiers pas dans l’hexagone. Cinq EPs signés Maria False, The Dead Mantra, Venera 4, DEAD et Jessica 93 sortent. Et chacun des groupes rentre à sa façon dans l’étiquette shoegaze, si l’on considère que celle-ci existe encore.
maria false – maria false EP by maria false
Path Of Confusion by The Dead Mantra
Seabed Terror Single by Venera 4
On ne compte plus les groupes qui s’auto-estampillent comme tel et se jettent dans les magasins de Pigalle pour s’acheter des dizaines de pédales d’effet et une Jazzmaster en espérant reproduire un dixième des décibels de Kevin Shields. Ni le nombre de groupes Facebook dédiés au mouvement, sur lesquels sont posées ce genre de questions existentielles : « Comment faire du shoegaze ? » ou « Quelle guitare acheter ? ». D’après Venera 4, l’une des figures de proue du shoegaze hexagonal contemporain (notamment grâce à leur dernier album en date, Eidolon), il faut remonter en 2009 pour comprendre les prémices de cette renaissance :
« On avait vu avec les copains le concert de MBV à la Route du Rock, et on n’avait rien compris ! C’était une expérience, on devrait peut-être faire une sorte d’asso avec les personnes présentes à ce concert, pour en discuter, se confier sur notre ressenti et cette expérience…”
Si assister à un concert de MBV sans savoir à quoi s’attendre peut s’avérer déconcertant, presque traumatisant, 2009 marque également la sortie de l’album Exploding Heads d’A Place To Bury Strangers et surtout celle de The Eternal de Sonic Youth. Paul, chanteur des Dead Mantra (un groupe français originaire du Mans), explique avoir été beaucoup plus influencé par le groupe de Thurston Moore :
“Avec les Mantra, on a commencé en écoutant du Sonic Youth. Ensuite, évidemment, on a écouté pas mal de trucs dans le style de MBV, Slowdive etc. Mais à titre personnel, je n’en écoute presque plus. Enfin, pour moi, tout a commencé avec le Brian Jonestown Massacre. Methodrone en tête”.
« Une quête du mur du son »
Dans le France de 2016, le shoegaze se réincarne en version sombre. Peu de groupes semblent perpétuer la tradition dream pop initiée par les Cocteau Twins ou Mazzy Star. Le genre s’obscurcit, se pare de couleurs cold-wave, post-punk ou techno, pour parfois jouer les gros bras, comme le soulignait The Drone dans un chouette article.
« Le shoegaze doit aujourd’hui se réinventer« , souligne ainsi Charles Crost, directeur du label Le Turc Mécanique. Deux albums sortis sur sa structure collent bien à cette redéfinition du genre : Marble Arch et son The Bloom Of Division pour le coté pop, et Balladur avec Plage Noire, Plage Blanche, pour le coté post-punk, post-new wave et post-à peu près tout.
« Je mettrais même, par exemple, des groupes comme Strasbourg dans le shoegaze, alors qu’ils n’ont à priori pas grand-chose à voir avec ça. C’est plus une recherche sonique, une quête du mur de son, qui importe. »
Cette quête, beaucoup de groupes l’expérimentent aujourd’hui ; avec plus ou moins de succès. Les formations mettent l’accent sur le son avant tout. C’est le cas du collectif Nothing, qui regroupe trente d’entre elles et se définit ainsi : « Ce qui importe c’est le son. Ce qui nous fédère c’est la volonté d’en avoir un“. Au dépend de l’écriture de bonnes chansons ?
« Mettre plein de reverb sur les guitares et la voix ne suffit pas. Il y a aussi, voire surtout, le sens du songwriting qui entre en ligne de compte. Ecrire des bonnes chansons n’est pas donné à tout le monde, mettre du delay partout dans la production, si. Le problème c’est que le shoegaze est un genre tellement codifié, et dont les codes n’ont que rarement été redéfinis qu’il est très facile de se vautrer dans le mimétisme«
Une remarque juste que l’on pourrait appliquer à d’autres genres comme le rap (coucou les clones de PNL).
La scène shoegaze française est-elle un mirage ?
D’après Paul Mantra, la scène shoegaze française n’existe pas vraiment :
« On est juste quelques mecs qui font du bruit dans notre coin. Mais pour les Dead Mantra c’est assez particulier, on a un peu le cul entre deux chaises. Ce que je veux dire par là c’est que par exemple, les cris, qui font partie intégrante de notre musique, dérangent beaucoup de fans de shoegaze. Un peu comme Deafheaven, qui est considéré comme trop pop pour les fans de black metal, et trop dur pour les fans de pop. Du coup, on ne se considère pas trop comme faisant partie de cette scène, si tant est qu’elle existe. Le qualificatif de shoegaze grégorien, dont on est aujourd’hui affublés, est d’ailleurs parti d’une vanne ! »
Charles Crost, lui, apporte une distinction intéressante :
« Je ne crois plus trop à cette notion de scène shoegaze. En fait, on a assisté à une sorte de scission entre les enfants de la brit-pop, d’Oasis, avec une culture du succès populaire et ceux qui s’en contre-foutaient. Tous les musiciens veulent voir leur musique écoutée par d’autres, mais je parle de mecs qui distribuent les Cds promo comme des cartes de visite. On sent que ceux-là sont un peu déchirés entre le fantasme pop et la réalité de la musique spécialisée, qui existe aujourd’hui par nature dans un système souterrain où ce genre de choses n’ont pas leur places. Il y a un truc qu’il ne faut pas oublier, c’est que quand tous ces groupes ont commencé, c’était le grand boom de l’éducation tremplin. »
https://youtu.be/auiineg_458
Cette histoire de tremplins, effectivement, n’est pas sans importance. Rappelons que des concours comme Fallenfest ou Emergenza proposaient à de très jeunes groupes de jouer sur des grosses scènes parisiennes. Qui ne rêve pas de jouer à la Cigale à 17 ans ? Cette lubie des tremplins inconsciemment aseptisée, ou du moins « popisée » quelques formations. D’autres s’en foutent royalement et préfèrent jouer dans le tryptique parisien classique : Buzz (aujourd’hui disparu) / International / Espace B. D’autres encore s’exportent rapidement, comme ça a été le cas des Dead Mantra (programmés au Reverence Festival, au Portugal), de Venera 4 (au Rough Trade de Londres), ou encore Jessica 93, qui, lui, tourne un peu partout en Europe. Preuve que les Français ont une belle carte à jouer, même s’ils ne sentent pas forcément soutenus par leur pays.
Pour Paul Mantra, c’est le rapport à la jeunesse qui peut poser un problème en France :
« Ce pays a, je crois, un véritable problème avec les jeunes. Moi je m’en fous, je ne joue pas avec les Mantra pour être connu, mais regarde l’âge des mecs dont parlent les médias Français. Tous ont au minimum plus de 25 ans, voire bien plus. Il y a un vrai souci là-dessus. Les Arctic Monkeys n’auraient jamais pu percer ici. »
Concernant la scène shoegaze française, Venera 4 apporte une réponse totalement différente des autres :
“ Oui je pense qu’il y en a une. Il y a une scène sur la façon de produire, de jouer etc. C’est plus une scène noisy plus ou moins pop ; une scène bruitiste, et elle existe partout dans le monde entier aujourd’hui. Les mecs veulent faire du bordel, jouer à fond.“
Le collectif Nothing
Dans l’hexagone, la plupart de ces mecs qui veulent foutre le bordel se réunissent sous le nom de Nothing, dont on vous parlait plus haut. Le collectif, né en 2013, réunit chaque année ses groupes pour des compilations qui attirent de plus en plus les regards. Il a également aujourd’hui son propre festival organisé à Rennes. Venera 4, qui fait partie de Nothing, décrit le collectif ainsi :
“ C’est une petite communauté. On essaie de sortir des compilations et de s’entraider pour trouver des concerts, se donner des conseils pour la production, se prêter du matériel d’enregistrement. On échange des contacts…Tous les groupes ne se connaissent pas encore, mais au fil des concerts, ça commence. Il n’y a pas de but ou d’objectif, pas d’histoire d’argent.“
Le résultat est assez probant même si certains groupes semblent se complaire dans la copie de leurs ainés. Comme toujours, il s’agit de faire le tri, et on trouve quelques perles au sein de ces compilations. A vous de fouiller ici.
D’autres groupes préfèrent marcher seuls, ou presque. On peut citer à ce propos Jessica 93, le one-man-band spécialisé dans le mix post-punk/shoegaze, qui avait foutu une belle claque à la France avec Rise. Et puis il y a ceux qui préfèrent rester aux cotés de leurs amis et de leur label, comme les Dead Mantra : “Nous, notre famille c’est Cranes Records”. Structure française incontournable dans le genre, également à l’origine, par exemple, du superbe Tokkoubana, de Seventeen At This Time (qui a peu à voir avec le shoegaze mais qu’on aime quand même beaucoup).
L’existence de la scène shoegaze en France reste donc essentiellement une question de posture et d’interprétation. Le manque de visibilité de certains groupes affiliés (à tord ou à raison) au courant est sans doute le principal écueil pour que l’affirmation ne souffre aucune contestation. A vous de fouiller dans les multiples liens présents dans cet article : il n’est jamais trop tard pour se rattraper.
Un grand merci aux Dead Mantra, au Turc Mécanique et à Venera 4
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