Toujours un peu à part, The Coral sort « Move Through the Dawn ». Une merveille pop psychédélique hors du temps et des modes.
Mine de rien, seize longues années séparent la sortie de The Coral (2002), premier album éponyme du gang de Liverpool, et celle de Move through the Dawn, nouvelle livraison d’un groupe qui aura traversé l’époque sans trop faire gaffe aux modes et aux bouleversements de l’industrie du disque. Seize ans, ce n’est rien à l’échelle des dinosaures, mais c’est pile le laps de temps qu’il aura fallu à la culture rock pour que le Unknown Pleasures de Joy Division (1979) réponde au Please Please Me des Beatles (1963). Une mise en perspective qui peut filer le vertige, surtout quand au détour d’une conversation avec une poignée de kids âgés d’à peine 20 ans on entend que James Skelly et toute la clique de The Coral côtoyaient probablement les Happy Mondays et les Stone Roses sur la scène de l’Haçienda, en 1989.
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Jamais à la mode
Un beau bordel chronologique dans l’esprit de ces jeunes, qui s’explique sans doute en partie par la confusion entre tradition musicale, genre et revival du genre. Et dans la tradition pop psychédélique justement, The Coral occupe une place à part : celle d’un groupe qui aura anticipé le retour des guitares avant l’explosion des Strokes en 2001, sans jamais vraiment décrocher le pompon au moment le plus fort de la tendance. Un constat ironique qui fait sourire les membres du groupe, sans pour autant les démoraliser : “On n’a jamais été à la mode, tu sais, ou alors peut-être pendant une semaine. Ça ferait un bon titre ça, Fashionable for a Week”, rigole James Skelly, auteur, compositeur et frontman du combo de la péninsule de Wirral. “Je pense que les groupes de Liverpool n’ont jamais évolué dans le même espace-temps, de toute manière”, rajoute Nick Power, le claviériste, que l’on retrouve également à la guitare acoustique sur le très beau After the Fair, qui vient clôturer Move Through the Dawn. “Si on avait bougé à Londres à une époque et qu’on avait joué le jeu, peut-être que l’on aurait été vus différemment, renchérit James. The Libertines ont souvent fait la première partie de nos concerts, mais comme ils étaient à Londres et que c’est là-bas que la presse est basée, quelque chose a fait qu’ils sont devenus la grosse attraction après Oasis. Mais dans les faits, nous étions là avant.”
Culturellement, The Libertines étaient certainement plus scandaleux, et peut-être que Up the Bracket était la claque que le rock anglais attendait depuis (What’s the Story) Morning Glory ?, mais les membres de The Coral, à l’image du guitariste Bill Ryder-Jones (13 ans au moment de la création du groupe, qu’il quittera dix ans plus tard), n’avaient de toute façon pas vocation à faire la une des magazines. “Et puis ce genre de musique n’a plus vraiment d’exposition dans les médias aujourd’hui”, lâche Nick. “Quand tu dis ce genre, tu entends le genre groupe à guitares ?, demande James. Il n’y en a plus beaucoup, à part Noel Gallagher ou Blossoms. Je pense qu’aujourd’hui, faire partie d’un groupe est devenu un sous-genre ou une sous-culture.” Skelly prend ainsi l’exemple de The 1975, qui cartonne outre-Manche, mais dont on se fout éperdument ici, en France : “C’est une apparence de groupe. En fait, il y a le frontman qui est une pop-star, mais si demain les autres membres du groupe devaient être remplacés, je pense que le public ne s’en rendrait pas compte.”
Un patchwork d’influences
The Coral a longtemps été dysfonctionnel, reconnaît volontiers James, mais malgré cette trajectoire parfois chaotique jusqu’au hiatus de 2012, qui ne durera pas bien longtemps, le groupe est resté viscéralement le même, allant piocher dans les sixties ces références à une écriture pop et mélodique pleine de raffinement (Not So Lonely, sur l’album Roots & Echoes, leur chef-d’œuvre) et livrant, tout au long d’une carrière longue de neuf albums, cette même folk luxuriante aux teintes surréalistes.
Dans le genre, Eyes Like Pearls, qui ouvre Move Through the Dawn, est typiquement coralien, avec ses analogies maritimes (“as deep as the ocean, as wide as the valley”), sa mélancolie maladive (“won’t you take me away, to that innocent place”) et son optimisme forcené (“now my troubles seem so far away from me”). After the Fair, le dernier morceau du disque, date des sessions d’enregistrement de Butterfly House et sonne comme un instant d’éternité au milieu d’une œuvre si belle et foisonnante qu’elle paraît indatable, presque impossible à situer sur une frise historique.
Au début des années 2000, le groupe enchaînait un album par an en moyenne, jusqu’à la sortie en 2004 de Nightfreak and the Sons of Becker, sorte de grand délire expérimental aux influences narcotiques, époque Madchester et post-punk façon The Fall, qualifié par Nick Power de suicide commercial. Tout aurait pu vriller à cet instant : “C’est le disque d’un groupe au sommet de sa gloire, signé sur une major, qui décide de sortir un album concept”, se marre Skelly. L’année d’après, The Coral sortira The Invisible Invasion et son tube In the Morning, comme pour mieux revenir dans le rang. Paul McCartney, faisant le point sur l’influence des Beatles sur la vie des gens, dira un jour qu’il est heureux que son groupe n’ait eu que des messages positifs à délivrer. Le moment venu, il ne faudra pas oublier de remercier The Coral pour la beauté.
Move through the Dawn (Ignition Records/Pias)
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