Trente ans après sa sortie, le premier album des Britanniques revient dans une version augmentée de 15 titres. Indispensable.
Quelques secondes de blanc glissent le long des enceintes, puis le rythme martial d’une batterie et la voix de Ian Masters déchirent le silence : “Time will get you in the end/And take away the things/The things you thought you had/Time will take away your friends/And leave you all alone/Alone until the end” (Way the World Is). C’est brut, noir, prophétique.
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Ce titre d’ouverture de The Comforts of Madness est à l’image de l’esprit torturé de son auteur et interprète. C’est aussi la matière dont sont faits les albums qui s’inscrivent dans le panthéon musical d’adolescents rêveurs.
Pour souffler les trente bougies de ce disque culte, 4AD a préparé une réédition remasterisée et augmentée de 15 titres, incluant des demos inédites et une Peel Session datant de 1989. Un voyage en nostalgie d’autant plus émouvant qu’elle paraît quelques jours seulement après la mort du regretté Vaughan Oliver, graphiste historique du label et auteur de la splendide pochette de The Comforts of Madness.
Seule échappatoire
Retour en février 1990. La presse britannique essaie tant bien que mal de regrouper sous la bannière “shoegaze” tous ces jeunes musiciens (My Bloody Valentine, Slowdive, Ride…) issus majoritairement de la middle class, qui chantent leur spleen en gardant les yeux braqués sur leurs pédales d’effets et leurs chaussures.
C’est une période de libération musicale pour les doux rêveurs, les marginaux et les timides, qui peuvent enfin donner libre cours à leur goût d’un rock sans concession, mais débarrassé de ses clichés les plus virilistes. Pale Saints, trio originaire de Leeds, écume les pubs et ronge son frein depuis trois ans. Miracle en Albion, 4AD déniche le groupe lors d’un concert londonien.
Pour le jeune Ian Masters, qui a goûté à une enfance solitaire avec la musique comme seule échappatoire, cette signature est inespérée. Pas de quoi calmer tout à fait ses névroses, mais c’est enfin la reconnaissance de son talent singulier pour travailler une atmosphère et un son. The Comforts of Madness s’impose vite comme l’un des plus beaux moments de bravoure de la musique anglaise du début des nineties.
La formation construit des nappes de guitares saturées et distordues, un “mur de son” sur lequel viennent s’éclater des textes introspectifs joliment ciselés. Ce lyrisme échevelé, ponctué d’anomalies sonores (cuivres dissonants, vibratos, cris…), donne aux arrangements cette approche unique qui réconcilie douceur et rage.
L’album est une puissante décharge sonique, une plongée en apnée, dont on ressort étourdi. Malheureusement, Pale Saints fera partie de ces héros éphémères du rock – Ian Masters quittant le groupe après la publication du second lp In Ribbons (1992).
Hasard ou synchronicité, la naissance de Pale Saints coïncide avec celle de la série Twin Peaks, programme télévisé venu hanter les petits écrans du monde entier. On imagine d’ailleurs assez bien les silhouettes des musiciens britanniques se glisser comme des ombres sur la scène du Bang Bang Bar, avant de disparaître dans les ténèbres. Trente ans après, The Comforts of Madness ressort enfin des limbes musicaux.
The Comforts of Madness (30th Anniversary Remaster) (4AD/Wagram)
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