These New Puritans avaient impressionné avec leur rock anguleux et insoumis. Mais on n’imaginait pas ces jeunes Anglais capables d’un disque aussi secouant, mutant et déstabilisant que l’immense Hidden.
[attachment id=298]« We want war.” Une nouvelle définition du www. C’est sur ces mots que démarre le récent single de These New Puritans. Effectivement, les jeunes Anglais sont en guerre : contre la médiocrité, la futilité et la soumission qu’a acceptées la pop-music en échange du quart d’heure warholien. Jolie inconscience : chez Jack Barnett, la popmusic est chose très sérieuse, scientifique – elle peut changer des vies. Jack Barnett fait partie des quelques utopistes envisageant le grand single pop comme un art savant : ciel que cette simplicité paraît complexe à apprivoiser; fichtre que ces fulgurants raccourcis entre musiques a priori incompatibles semblent tortueux.
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On appelle ici quelques témoins à la barre. Ce sont des gens auxquels, en matière de single pop, on fait une confiance aveugle. Björk nous avait déclaré un jour : “Je veux m’approcher d’une pop-music à la fois expérimentale et parfaitement accessible. L’attitude de Stockhausen et les refrains de Boney M.” Ce que les Pet Shop Boys, sur leur mémorable Left to My Own Devices, avaient résumé d’une formule tout aussi laconique : “Che Guevara et Debussy sur un beat disco”.
La pop, sans la niaiserie : quand on évoque le fascinant dédale que constitue Hidden, quand on s’emballe, frustré par l’humilité de notre interlocuteur, pour crier au génie, Jack Barnett, tête fûmante du groupe, répond : “C’est juste un album pop.” Pour lui, la pop, c’est effectivement ça : les cordes dramatiques de Benjamin Britten, les beats acérés du Wu-Tang Clan, les phases de Steve Reich, les rythmiques ascétiques d’un certain r’n’b, les basses inquiétantes du dubstep et les guitares hirsutes de Sonic Youth. “J’ai toujours préféré la pop expérimentale au rock expérimental, plus prétentieux et hautain. La pop parle de manière plus directe.”
Pour le puritanisme, chercher donc ailleurs, loin de ces New Puritans : Jack Barnett s’impose ici comme l’un des plus audacieux architectes du rock actuel, un Brian Eno pour génération 8-bit. Un démiurge instinctif d’une vingtaine d’années, formé à la maison, dans un grenier glacial reconverti en laboratoire sonique. “Je haïssais l’école, la musique est devenue ma bulle, mon obsession… A partir de 10 ans, j’ai passé ma jeunesse à bricoler le son dans mon grenier. Il y faisait tellement froid que j’y portais plusieurs couches de manteaux : je ressemblais à un Bibendum. Depuis que je suis gamin, je suis littéralement assailli, hanté même par des idées de musique, des trucs étranges qui viennent de je ne sais où. La plupart d’entre elles viennent de mes rêves, éveillés ou non. Je ne peux pas laisser mourir ces idées.”
Preuves en mains – un carnet noirci de griffonnages et un enregistreur de poche –, il évoque ainsi un devoir de consigner ces musiques, sa culpabilité quand il laisse filer une idée en s’autorisant quelques instants de désoeuvrement : “Pendant des années, malgré mon travail de tous les instants, tous les sacrifices, cette musique très personnelle n’a servi à rien : je pensais qu’elle n’intéresserait personne, je ne voulais même pas la présenter au groupe. Avec Hidden, c’est comme si j’étais revenu au grenier, dans mon univers, à ce chaos que je tente depuis des années de modeler.”
Même si le groupe avait d’emblée, avec son furieux single Elvisss notamment, impressionné par son assemblage aléatoire d’électricité rêche, d’electro et de dance-music souillée, rien ne laissait présager un album aussi ahurissant que Hidden. En trois ans d’agitation et de refus des compromissions sur les scènes anglaises, l’évolution du groupe est sidérante. On y soupçonne même un pacte faustien. Faust & furious. “Au début, le groupe était atroce, aucun de nous n’y prenait le moindre plaisir. On jouait mal dans des salles minables, je ne sais pas pourquoi nous nous sommes accrochés. Pour moi, très clairement, il y avait deux musiques : celle que je jouais seul, avec des rêves de cordes, de cuivres… et celle que je jouais avec le groupe. Il m’a fallu des années pour parvenir à formuler ce que j’entendais dans ma tête, à l’adapter au groupe, à un orchestre symphonique… Après avoir trafiqué cette musique seul, avec des samples, pendant des années dans mon refuge, c’était bouleversant de l’entendre enfin jouée par des êtres humains.”
Le groupe, comme les musiciens invités, cobayes d’une expérimenation qui visiblement les dépassait, n’ont d’ailleurs jamais eu vraiment le plan d’ensemble de cette album pharaonique. Jack a enregistré séparement les cordes, les cuivres, le groupe, pour ensuite assembler seul, parfois même perdu et confus, cette bouillonnante matière première. “J’ai même passé des heures dans un Castorama à tester le son de toutes leurs chaînes, pour un son dont je rêvais.”
Troublé, ébranlé même, quand on évoque un “album important”, Jack a du mal à répondre, bredouille, se tord les doigts : “Je ne sais pas à quoi le comparer, je n’aime rien dans le rock contemporain. La plupart des gens que j’admire sont des compositeurs morts ou des producteurs de rap et de r’n’b… Je ne veux pas savoir ce que font les autres, je ne veux pas me déconcentrer.” Il se lève, droit et hagard, soudain : “Il faut que j’aille chercher un verre, je reviens”. On l’attend encore. Mais on était prévenu : “Je ne suis pas très doué pour la conversation. Ma première langue, celle avec laquelle je suis vraiment en phase avec mes idées, c’est la musique.” Ça suffira très largement.
Album : Hidden (Domino/PIAS)
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