De passage aux Eurockéennes de Belfort début juillet, Saul Williams a donné une conférence de presse qui lui a permis d’aborder des thèmes qui lui tiennent à c’ur : son rôle dans le film Slam, son album Amethyst Rockstar, le gangsta rap, la poésie, le commerce. Nous avons retranscrit les moments forts.
L’album
J’ai toujours eu l’impression qu’une prestation live est un peu plus vide qu’un album. Mais je n’ai pas réellement l’impression que l’album soit si différent du live.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
J’ai participé à Slam il y a environ quatre ans, et ce que j’y ai fait découlait de ce que j’avais pu faire jusque-là. C’est donc une évolution naturelle que j’ai voulu amener à travers cet album, celle d’un artiste qui cherche à progresser, à proposer quelque chose de neuf.
J’ai écrit une partie du morceau Fearless à la fin d’une période triste de ma vie, lorsque j’essayais d’oublier une relation personnelle, et que j’ai réussi à retranscrire dans mon livre She, publié en 1999 par MTV.
Ce qui m a permis de faire d’une période difficile, en canalisant entre autres mes émotions, quelque chose de positif et créatif. Cette chanson en est un parfait exemple.
Lorsque j’y cite le poète Ruby: « Je suis un poète, qui prose sur ce que le monde compose, prose sur ce que le monde impose« , c’est une manière pour moi de canaliser mes émotions à travers une poésie qui m’est imposée par le monde sur lequel je n’ai aucune influence mais que je contrôle par le biais de ma perception, de mes interprétations.
Je récitais des poèmes dans les cafés et les théâtres, où la plupart du temps je n’avais pas besoin d’utiliser un micro. Et en me rapprochant de l’enregistrement d’un album, je ne voulais pas seulement reproduire la même chose je devais avoir une nouvelle approche pour l’enregistrement en studio où tu dois apporter des énergies différentes’
Par exemple, ce que fait Thom Yorke de Radiohead, sa voix en retrait, doucereuse, qui subjugue l’assistance. Dans un théâtre ou un café, loin des micros et des bandes, il devrait amener une toute autre énergie.
Le hip-hop, la rue et le gangsta rap
Gang Starr, A Tribe Called Quest, ou Outkast, donnent encore dans l’image très conservatrice du hip hop, mais je ne suis aucunement impressionné par le travail de ceux qui s’apparentent à de mauvais garçons. De La Soul a offert un premier album proche de l’album blanc des Beatles. Si j’avais signé une dizaine d’années plus tôt, je me serais retrouvé dans le même genre que les groupes avec lesquels vous êtes familiarisés. Je ne dis pas que ce qu’ils font ressemble à de la merde, et que ce que je fais est bon, mais que je me sens plus concerné par la diversité des directions prises dans le domaine du hip hop, par son évolution.
Ce qui m’a ennuyé dans le hip hop ces dernières années, c’est l’autarcie de ceux qui font et écoutent uniquement du hip hop. Ils tirent leur inspiration uniquement de ce qui se fait dans le hip hop, pratiquant l’imitation afin de reproduire les sons des premières heures du hip hop.
Les musiciens de hardcore intègrent au contraire des courants qui passent par Miles Davis à Brian Eno, afin de faire grandir leur musique. Quand vous voyez DJ Premier de Gang Starr, il n’a pas grandi au son du hip hop, mais avec celui du jazz, de la soul, du hard rock.
Je suis du ghetto, je viens de Newburg City, qu’on peut assimiler à la capitale de la drogue de New York City. J’y ai fait mes armes, je suis allé au collège là-bas, le même que celui de Guru. Le père de Guru était juge, le mien pasteur J’ai grandi dans la classe moyenne, Guru a grandi dans un milieu aisé.
Par ailleurs, il me semble que lui donner raison, c’est laisser le problème de ce qu’est la connaissance de la rue. Ce « savoir » ne peut être qu’attribué au seul fait d’avoir dealé du crack pendant trois ans, d’avoir passé quatre ans en prison.
Quand mes amis fumaient un joint dans la rue, ils ne se contentaient pas de le faire tourner. Ils m’appréciaient et sentaient que viendrait le jour où je les représenterai à l’extérieur du ghetto, ici par exemple. Alors pour moi, c’était l’école.
Surtout, souvenez vous des origines de groupes tels que A Tribe Called Quest, Run DMC, LL Cool J, Public Enemy, EPMD. Ils viennent tous des banlieues, ce qui ne signifie pas du ghetto, seulement de l’extérieur de la ville. L’image du dealer au coin d’une rue de Harlem doit être détachée de la réalité du mouvement hip hop.
Il faut voir que l’aspect romanesque du ghetto, de la rue au travers du hip hop est amené par l’industrie du film, par des tas de jeunes du monde entier qui voient cette musique comme celle violente des dealers, des putes, de tout ce que l’underground peut receler de pervers. Mais le hip hop est aussi la musique d’étudiants, de gens qui dînent en famille. C’est une expérience variée, à l’instar de l’expérience américaine.
Je suis un expérimentateur, intéressé quant au futur, tel un ingénieur qui souhaite créer, trouver quelque chose de neuf. Mais en faisant ça, je ne dénigre pas l’ancien, je me sens simplement attiré par de nouveaux sons, qui intégreraient tout ce qui a pu exister jusqu’à aujourd’hui et où j’aimerais tant y puiser.
La Méthode du Poète
En 1986, KRS One m’a permis d’assimiler le hip hop à de la poésie. Il ne s’est jamais senti comme un rappeur, mais résolument comme un poète.
Comment j’en suis venu à la poésie ? Je n’ai pas grandi avec des parents qui m’auraient dit: « Tu devrais lire Rimbaud, ça, c’est de la poésie ». Non, à l’époque c’était « Fuck my parents ». Je suis simplement venu à la poésie grâce au hip hop.
Mais, au départ, le hip hop m’a fait déchanter. Par exemple Dr. Dre suscitait un engouement général par ses beats. Il me fit penser à une personne qui, comme moi, tient à ce qui se dit dans une chanson. Mais où sont ses putains de paroles, il ne chante rien.
Quand j’ai entamé mes concerts à New York avec mes amis rappeurs et autres MC, je leur ai dit qu’il fallait absolument s’attacher à ce qu’on allait dire, à notre poésie et laisser de côté les beats. Et c’est lorsque je me suis rendu compte de mon vocabulaire, de ma capacité à lui donner forme grâce à la poésie que j’ai pu franchir une étape à travers le hip hop.
Je n’ai aucune méthode spécifique pour écrire. Je suis un novice en matière de composition. On pourrait apparenter mon travail à une série de jets. Parfois j’ai des mots en tête autour desquels des sons tournent. Puis à l’inverse, j’ai une mélodie en tête pour laquelle des mots me viennent et que j’arrangerai par la suite. Pour moi écrire des paroles diffère totalement de l’écriture poétique pour laquelle je sais qu’elle ne finira pas dans une chanson. Il serait terrible pour vous de lire mes paroles dans un livre, alors que dans une chanson, elles y prennent toute leur dimension.
Slam
Je continue à faire des films. J’ai récemment participé à une grosse production où je tiens un petit rôle, et qui n’a rien à voir avec ce que j’ai pu faire dans Slam. Je veux absolument poursuivre ce travail entamé dans Slam, par contre, je ne sais pas quand cela se fera.
European Connections
J’ai des relations avec des artistes, auteurs, compositeurs, chanteurs en Europe, la plupart se situant en Grande Bretagne pour la seule raison que nous parlons la même langue. Cependant, je suis venu de nombreuses fois en France où j’y ai rencontré des poètes, et des musiciens.
Collaborations littéraires
Oui, il y a des écrivains, des compositeurs, des penseurs que j’apprécie. La première qui me vient à l’esprit est Ani DiFranco avec laquelle j’aimerais faire quelque chose. Je lis et écoute énormément mais rarement je me dis qu’il faille absolument que je collabore avec tel ou tel artiste. Je reste définitivement ouvert à toute espèce de collaboration.
Commerce et Musique
Je crois qu’on a atteint un tournant dans notre société de propagande et d’information’.
Je n’ai pas peur d’un micro, d’une caméra, des journalistes, je n’ai pas peur de la commercialisation de certaines idées sachant que d’autres ont déjà bénéficié du commerce telles le sexe, la violence qui ont induit des meurtres, des viols. Nous sommes devenus apathiques.
Et la seule manière de lutter contre les médias aussi loin que je pourrais le faire est de propager un virus de l’intérieur.
En 1999, MTV a produit un recueil de mes poèmes pour lequel ils ont réalisé une publicité. Ceci est absurde mais c’est une petite révolution pour ce média qui pour la première fois a dû faire de la publicité pour son compte car elle s’est aperçue qu’elle était en train de perdre son public. Certains disent que je ne suis plus underground, mais je ne suis pas pour l’underground, je suis pour la vérité.
J’écris des poèmes et la poésie m’a permis de constater le pouvoir des mots. Je suis un alchimiste, un magicien qui sait comment jeter un sort car je sais à présent, en l’ayant constaté, ce que peuvent faire les mots et la vérité. Ce n’est donc pas de l’optimisme mais une simple logique.
Yannick Adam de Villers
{"type":"Banniere-Basse"}