Plein d’ironie, un petit manuel dissèque les manies de la chanson française. Et cartographie, en creux, un fondement de la pop culture d’aujourd’hui.
On manque parfois de recul pour observer correctement la grande kermesse de la musique en France. Pour se remettre les mirettes en place et se dégraisser les oreilles, on conseille ce titre pour les soirées d’hiver à bouquiner au coin du feu, un petit chat sur les genoux : Je vais pas me taire parce que t’as mal aux yeux. Joli programme, et big up salutaire au tube Alors regarde de ce cher Patrick Bruel.
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Des questions absolument essentielles
Dans ce livre sous-titré « autopsie de la chanson française », cette « grande famille à problèmes », la journaliste Sarah Dahan (collaboratrice de Brain Magazine, GQ et Les Inrocks) se penche sur des questions absolument essentielles : quel est le profil type du fan d’Indochine ? à quoi ressemble une journée d’Ophélie Winter ? quel est l’héritage du raï’n’B ? faut-il vraiment écouter Vincent Delerm et Fauve ? quels sont les points communs entre La Fouine et Edith Piaf ? qui sont les chanteurs « popu-chic » ?
Sans hiérarchie ni snobisme (mais avec une belle dose de mauvaise foi), ce bréviaire facétieux esquisse mine de rien une riche cartographie de la chanson en France depuis des décennies, exprimant de façon ludique ce qui en fait une base de la pop culture d’aujourd’hui. Sarah Dahan :
« J’ai voulu que le spectre des artistes incriminés soit le plus large possible, même si le livre n’est pas exhaustif bien entendu. Il y a évidemment les boulets incontournables de la chanson française (Christophe Maé, Pascal Obispo and co) mais il me paraissait également important d’évoquer des artistes plus « respectables » et respectés, des intouchables comme Etienne Daho ou Christophe, même si leurs carrières se prêtent moins aux vannes. (…) Tous incarnent la pop culture française d’hier, d’aujourd’hui et pour certains, de demain. Depuis quelques années on observe une mutation, tout devient “pop”. Dans les années 60 la pop c’était les yéyés, aujourd’hui la pop c’est Booba. Je ne me voyais pas parler de l’un sans l’autre. »
Une plume parfois méchante, toujours drôle et utile
Ce tour d’horizon de nos pop-stars, Je vais pas me taire parce que t’as mal aux yeux le fait à travers listes, bingos, graphiques et textes – soit en évitant le classicisme et l’indécrottable esprit de sérieux que son sujet n’appelait effectivement pas. Au fil des pages, on retrouve ainsi des rubriques récurrentes, sorte de running gags qui ne manquent pas de faire pouffer de rire à chaque fois, sans jamais omettre de nous apprendre des choses.
« L’idée est née de mes “explications de texte” pour Brain Magazine. Comme dans les cours de français, j’analysais les textes de chanson française en y injectant moult significations absurdes, à l’instar de bon nombre de profs de français si clairvoyants… Tout ça n’était que prétexte à un gros délire qui me faisait rire. J’ai proposé l’idée à mon éditeur, qui a aimé, mais après discussion nous nous sommes rendus compte qu’il serait plus drôle de parler de la chanson française sous plein de formes différentes. Le ras le bol causé par la variétoche mainstream depuis de nombreuses années m’a particulièrement inspiré. »
Il y a donc les « journées type » (de Maître Gims, Mylène Farmer…), les « ingrédients de chansons » (de Laurent Voulzy, Véronique Sanson…), les « prévisions nécrologiques » (de Shaka Ponk, Christophe Maé…), les « do’s et don’ts » (de Benjamin Biolay, Liane Foly…), etc. Au milieu de tout ça, des textes avec plus ou moins d’amour sur Ben l’Oncle Soul, Booba, Zazie, Camille, M.Pokora, Francis Cabrel… et même Mélanie Laurent. Une famille effectivement problématique, que Sarah Dahan chatouille d’une plume parfois méchante, toujours drôle et utile.
Livre Je vais pas me taire parce que t’as mal aux yeux de Sarah Dahan, Editions J’ai lu, 159 pages, 6€
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