Leur premier album fut un carton, mais The Dø était trop férocement
indépendant et audacieux pour se contenter d’une copie carbone.
La paire s’est donc lancée dans une nouvelle aventure. Impressionnante.
« On a quelques retours, plutôt positifs, on a aussi déjà joué quelques concerts, et ça a très bien marché”, explique Dan, moitié masculine de The Dø, en préambule à une longue et passionnante interview. Avant de refroidir à l’eau glacée les prévisions de ceux qui pensaient voir The Dø capitaliser sur le triomphe de son premier album. “On a de bons retours, mais on a compris que Both Ways Open Jaws ne serait pas non plus forcément un album grand public.”
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Leur idée ? N’en faire qu’à leur forte tête. Plus de 150 000 albums vendus, des tournées clapées par des mains du monde entier, de Los Angeles à Mulhouse, d’Istanbul à Mexico, des récompenses au kilo, le statut enviable de groupe exigeant aimé par les masses ? Ce ne sont, finalement, que des questions secondaires pour Dan et Olivia. Qui n’ont pas changé leur philosophie d’un atome : The Dø est un modèle, radical, d’indépendance. Une forteresse quasi autarcique, du moins imperméable aux enjeux non créatifs.
“Personne ne nous impose rien, vraiment, affirme Dan, véhément. On est producteurs de nos albums, auteurs, compositeurs, arrangeurs, mixeurs, ingénieurs du son. C’est comme ça qu’on aime faire notre musique. On sait où on veut aller. Il faut se battre pour conserver son intégrité, se battre pour ses idées : personne ne les aura à notre place. C’est important de pouvoir affirmer que notre musique, c’est ça, que nos visuels c’est ça, et qu’on emmerde ceux qui ne sont pas d’accord ou qui t’expliquent que ‘c’est pas possible’. Le risque qu’on a pris pour le premier album, on l’a aussi pris pour le second.”
Le risque. Leitmotiv des deux camarades, répété à l’envi comme un mantra et appliqué, en toute circonstance, dans leur pratique : à aucun moment The Dø n’a imaginé, après plus de deux ans de tournée, les apprentissages et l’aguerrissement qui vont avec, se reposer comme des empereurs impotents sur ses lauriers platinés. Premier de ces périls autoinfligés : quitter le studio de la région parisienne, cocon protecteur dans lequel le duo avait jusqu’alors tout fait, pour aller s’aventurer, au sens propre du terme, dans le Luberon – une maison ayant appartenu à l’acteur Maurice Ronet et à sa femme, fille de Charlie Chaplin. “On avait besoin de cette coupure, de cette nouveauté. On est partis tous les deux, on a bourré un camion d’instruments et de machines, on ne savait pas où on allait, s’il y avait de l’électricité, si les pièces allaient sonner. On n’aime pas le luxe, on aime se mettre en danger.”
Et ça s’entend, clairement et assez superbement : si The Dø ne s’est pas, soudainement, mis à faire du Autechre, si la formidable patte mélodique du groupe parlera aux habitués, si la voix d’Olivia, pourtant encore plus acrobate, accroche les mêmes neurones à plaisir, la suite de A Mouthful est effectivement, de bout en bout, une fascinante aventure. “On fait tous les deux face à nos démons et ça se ressent forcément, explique Olivia. On les fuyait sur le premier album, on les a cette fois affrontés. Pour moi, un démon est la confiance en soi. Pour nous deux, ça serait la routine, les automatismes. Dust It off parle de ça : de mémoire, d’oublier tout ce qu’on sait, de faire comme s’il n’y avait aucune histoire derrière, de se jeter à corps perdu dans quelque chose de totalement neuf, sans bagage.”
Mais avec un peu de poudre de perlimpinpin, quand même : à l’image de sa pochette, photographiée chez le grand-père d’Olivia en Finlande, Both Ways Open Jaws semble hanté, sorcier. De la primale Slippery Slope à l’électronique folle de B.W.O.J., une brillante messe sombre, brute autant que raffinée, préhistorique et civilisée à la fois. Il se passe, dans les interstices de la belle Dust It off, des amères et majestueuses Gonna Be Sick ! ou Too Insistent, dans les ombres changeantes de The Wicked & the Blind ou Bohemian Dances, dans les arrangements veloutés de Was It a Dream ? beaucoup de choses qui semblent n’appartenir qu’à une religion inédite. A laquelle on s’est définitivement converti.
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