Evoquer David Bowie revient à remonter à sa propre préhistoire et traverser toute une vie, la nôtre.
La semaine passée avait très bien fini, avec Blackstar, le meilleur album de David Bowie depuis disons Scary Monsters, il y a trente-cinq ans. Cette semaine a effroyablement mal commencé, avec la mort de David Bowie, la vraie, la garce, celle que l’on craignait tant, pas cette saloperie de rumeur sur laquelle des internautes sans scrupules faisaient mousser leurs comptes Twitter depuis des années.
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On était d’ailleurs tellement certain que plus rien ne pourrait atteindre cet intouchable que l’on avait ricané des derniers bruits alarmants, en imprimant l’article écrit avant sa mort au sujet de cet album.
Pour évaluer la tristesse ressentie, mais aussi la dette envers Bowie, il faut ici remonter à sa propre préhistoire. Il faut revenir à une chambre d’enfant tapissée de ses affiches, à cette époque où dans son top 5 des meilleurs albums de tous les temps figuraient cinq albums de David Bowie – on n’avait que cinq albums. Mais ils changèrent notre vie – et la vie en général. Quand on devint journaliste musical, c’était donc pour ça : pour rencontrer celui qui avait défini une ligne de conduite, sourde à la raison, libre par obligation, curieuse par nécessité.
On peut donc remercier David Bowie pour toutes ces pistes, ces musiques, livres, peintures ou mouvements artistiques que l’on n’aurait jamais croisés sans les indices qu’il disséminait à longueur de chansons ou d’interviews. Il fut un phare, tant l’enfance et l’adolescence avaient été nuits.
Mais c’est surtout la pop qui peut lui dire merci. Passeur infatigable entre genres qui se regardaient jusqu’à lui en chiens de faïence, David Bowie a offert suffisamment de nouvelles voies pour que la pop-music continue de s’y abreuver, de s’y gratter la tête en 2016. Du punk à la new-wave, de la brit-pop à l’electro-pop, dès que la pop a cherché des chemins de traverse, David Bowie était là, dans l’ombre. Sa décennie inouïe des seventies, où il traversa les genres à une vitesse vertigineuse, sans jamais s’arrêter ou spéculer, constitue l’une des plus spectaculaires accélérations de l’histoire de l’art. A la fois inventeur fou et pilote d’essai intrépide, il est ainsi passé en une poignée d’années de la pop-folk intimiste d’Hunky Dory aux expérimentations glacées de Low, en passant par le rock décadent et fondamental de Ziggy Stardust ou la soul pâle de Young Americans. Il sera bien temps ensuite dans les années 1980 de ralentir, voire de décevoir : David Bowie avait déjà défini la matrice absolue de la pop-music à venir, dans un concentré d’idées neuves et de risques pris qui demeure à ce jour aussi inédit que sidérant.
Depuis des années, celui qui avait tant manipulé, surexploité les médias avait profité, dans une de ses pirouettes, de la multiplication sans limites de l’information pour justement se faire rare, jusqu’à disparaître. Deux albums sortis de nulle part, The Next Day (2013) et le très bon Blackstar (2016) se chargèrent de toute communication, parus chaque fois le jour de son anniversaire (66 et 69 ans). Là aussi, en créant un nouveau business model, un nouveau marketing, David Bowie continuait d’explorer, de chercher de nouveaux possibles.
Mais même disparu, il continuera d’irriguer la musique : il reste tant de mystères à décoder, de détails à disséquer que David Bowie a déjà gagné la vie éternelle.
On n’oubliera jamais une première rencontre où il s’avança souriant et séducteur, la main en avant : “Bonjour, je suis David.”
Nous sommes Les Inrocks et nous vous remercions pour tout.
JD Beauvallet
Bowie (1947-2016),
Les Inrockuptibles n°1050, en kiosques mercredi 13 janvier, dans notre boutique ou sur les Inrocks premium
Dans notre numéro :
David Bowie en vies
David Bowie est mort le 10 janvier, deux jours après la publication de son dernier album, Blackstar. Retour sur cinquante ans de carrière qui ont modifié la musique et la pop culture dans son ensemble.
David Bowie, une icône en images
Le chanteur a inauguré l’ère du tout-visuel à travers ses clips. Une passerelle vers le cinéma, qu’il a infusé par sa présence et le lyrisme pop de ses chansons.
“Blackstar” pour l’éternité
A 69 ans, le 8 janvier 2016, David Bowie bousculait une nouvelle fois son vocabulaire musical pour donner naissance à Blackstar. Un vingt-cinquième album stimulant et riche, marqué par sa rencontre avec des musiciens frondeurs du jazz new-yorkais.
Le jour de la mort de Bowie… les réactions sur les réseaux sociaux
Son décès à peine annoncé, les réseaux sociaux s’emballaient, comblant à leur façon le vide créé par son absence.
Artistes, écrivains, musiciens, acteurs: leurs témoignages sur David Bowie
Ils racontent comment le Thin White Duke a marqué leur vie et leurs œuvres.
Will Self: “L’instant d’après, David Bowie avait disparu”
Avec humour et émotion, le romancier britannique honore la mémoire de David Bowie et de ses personnages.
Mais aussi…
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Premier coup d’éclat d’Eva Husson, Bang Gang raconte la fièvre sexuelle qui s’empare d’ados ordinaires. Rencontre avec une cinéaste au parcours original et ses jeunes comédiens.
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