Sous nos radars depuis de longs mois maintenant, Kobo publie enfin son premier album : Période d’essai. Un disque à la fois complexe et flamboyant, ambitieux et magnifiquement maitrisé par le rappeur Bruxellois. Rencontre.
“J’pourrais pas m’contenter du minimum.” Le constat de Kobo n’a rien d’un argumentaire publicitaire manquant de sincérité. C’est un mantra, une philosophie de vie qu’il répète à deux reprises sur son premier album, Période d’essai : dans le refrain du déjà culte Baltimore, et en ouverture de Nostalgie. Le Belge, 25 ans, n’est pourtant pas de ces hommes obnubilés par la réussite et la magne financière inhérente au succès, bien au contraire : c’est un rappeur qui a fait le plus beau pied de nez à son époque en prenant le temps de livrer un premier long-format cohérent, sincère, aussi romanesque que profondément intime.
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Plutôt que de profiter du buzz suscité ces deux dernières années par All Eyes On Me, Charbon, Présumé Sobre ou Baltimore, Kobo a en effet préféré s’enfermer de longues heures en studio aux côtés de son ingé son, Don Moja. Souvent la nuit, qui semble nourrir chez lui des promesses d’inédits. “J’ai beaucoup de mal à écrire la journée à cause des discussions tout autour, des klaxons ou des bruits de pas. À l’inverse, il y a juste assez de silence la nuit pour entendre les voix dans ma tête, celles qui me permettent de me retrouver seul avec moi-même, d’aller vers un peu plus d’introspection et d’entamer un dialogue entre le personnage que j’incarne depuis mes débuts et la personne que je suis devenu et que j’expose davantage à présent.”
Dans tous ses états
Kobo a beau choisir ses mots avec soin et s’exprimer d’une voix douce, posée, on sent chez lui un tiraillement permanent : entre ce qu’il est et ce qu’il aimerait être, entre cette solitude qu’il noie dans la tise et cette vie d’artiste qui le pousse à “vendre rêves et artifices”, entre ses Désillusions et sa Nostalgie, entre cette envie de réussir et cette foutue impression de créer “un art qui n’est pas fait pour l’industrie”. La pochette de Période d’essai, très belle, illustre à merveille cette dualité : Kobo y apparaît à la fois masqué (comme dans ses clips) et le visage découvert. Une première qui colle visiblement avec cette idée de mise à nu : “Avec ce premier album, je veux que l’on se fasse une idée de qui je suis, que l’on comprenne cette dualité entre mon alter-ego masqué et ma vraie personnalité. Et puis c’était probablement le meilleur moment pour faire tomber le masque avant que celui-ci ne devienne une étiquette trop marquée.”
Tout, dans ses treize morceaux, agrémentés de quatre titres jusqu’ici indisponibles sur les différentes plateformes, trahit ainsi un rapport thérapeutique à l’écriture, à la musique et à l’art en général. Un peu comme si Période d’essai était une sorte de vaccin censé soigner ses propres traumatismes.
Kobo le dit lui-même : ce n’est pas pour rien si son premier essai s’ouvre par Introspection et contient des titres tels que Blessings, Manque de sommeil ou Vie d’artiste, un morceau qu’il a écrit et composé au cours d’une période charnière. “Transitoire”, précise-t-il. “Je venais de signer chez Polydor, et c’était un moment assez difficile. J’avais l’habitude de travailler seul, en totale liberté, et je me retrouvais soudainement à bosser avec une équipe, à devoir répondre à des normes et à éviter les compromis. J’étais partagé entre la satisfaction de pouvoir enfin vivre de ma musique et la pression de désormais faire partie d’une industrie.”
Âme torturée
On lui évoque alors la fameuse punchline de Karlito (“On s’la joue artiste parce que la vie c’est compliqué”), et Kobo botte illico en touche. Parce que “la vie est simple, c’est l’humain qui a tendance à la complexifier”. Mais aussi parce que “je ne me la joue pas artiste, j’en suis vraiment un, au point d’approcher la musique sous différents angles chaque jour. Parfois, j’écris ou je fais du son, d’autres fois, je tourne des clips ou des courts-métrages. Tout se mélange, c’est très bien”.
Pour Nostalgie x Succès, Kobo s’est ainsi associé au réalisateur Antoine Besse et s’est envolé pour le Congo (son pays d’origine) afin de tourner un court-métrage de sept minutes avec des acteurs locaux. “Ça faisait presque dix ans que je n’y étais pas retourné. Beaucoup de choses ont changé entretemps, j’ai parfois eu l’impression de marcher sur mes souvenirs, mais ça m’a permis de me rappeler qui j’étais vraiment. Avec la vie que je mène à Bruxelles, j’avais fini par perdre le sens de tout ça, mais là, le fait de mettre un peu de ma culture en avant et de retrouver le pays, j’ai eu l’impression d’être en phase avec moi-même.”
Un procédé, on l’aura compris, visiblement nécessaire pour ce “loup solitaire”, qui passe ses nuits à ”recompter ses blessures”, à “tirer une taffe pour déstresser” et à composer des albums d’une grande richesse, portés par diverses réflexions obscures, presque torturées, mais qui s’écoutent avant tout comme un remède aux angoisses du jour.
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