Recueilli et languide, un album d’automne, enregistré dans les bois.
Il y a une vingtaine d’années, on donna le diable sans confession à Mark Eitzel, personnalité sortie du brouillard de San Francisco avec l’air mauvais et la voix carbonisée par les nuits blanches. On ne parlait pas encore d’americana, mais dans une génération qui allait donner Will Oldham, Spain, Swell, Red House Painters ou Mazzy Star, ce Californien d’adoption semblait le mieux placé pour devenir l’astre noir de cette famille décomposée, son crooner déglingué, son Roy Orbison de crépuscule.
Avec ou sans son groupe American Music Club, Mark Eitzel fera tout pour être à la hauteur : en se gâchant, en s’amochant, en se cassant lui-même avec une férocité de sadique ultime. La mythologie du beautiful loser lui allait aussi bien que son chapeau et son costard élimé de musicien be-bop. Why I Am Bullshit, s’explique donc Eitzel, avec cet humour glacial dont Leonard Cohen possède la matrice. Comme Bon Iver, c’est dans une cabane en rondins, perdue sur les rives de la rivière Klamath du titre, que l’Américain a enregistré. L’ambiance est minimale, mais jamais austère, spartiate : tout en lenteur, tout en langueur, Eitzel n’était visiblement pas seul dans sa cabane, jouant au poker avec Tim Hardin, du kazoo avec Johnny Cash, de la guitare sous les étoiles avec John Fahey – la compagnie des fantômes est idéale pour un misanthrope de cette carrure.
Ce recueillement, ce dépouillement offrent à sa voix toujours aussi éraflée la lumière pâle et chancelante qu’elle ordonne : exactement le genre d’album épineux mais sans écharde qu’on attendait depuis si longtemps de ce chant hantant, qui voit très clair, très lucide, dans le noir complet. Le premier morceau s’appelle Buried Treasure – “Trésor caché”. Soit la parfaite description de ce grand complice de l’automne.