L’une des rares filles DJ quitte ses platines pour un album envoûtant, aimable comme une porte de prison gothique. DJ, productrice, chanteuse, fille perdue dans l’univers presque exclusivement masculin des platines, des boîtes à rythmes et des samplers, Andrea Parker est aussi mystérieuse que sa musique. Comme elle, grave, belle, froide, un peu bêcheuse, sensuelle […]
L’une des rares filles DJ quitte ses platines pour un album envoûtant, aimable comme une porte de prison gothique.
DJ, productrice, chanteuse, fille perdue dans l’univers presque exclusivement masculin des platines, des boîtes à rythmes et des samplers, Andrea Parker est aussi mystérieuse que sa musique. Comme elle, grave, belle, froide, un peu bêcheuse, sensuelle mais cérébrale, sophistiquée. Kiss my arp s’habille en noir, chez APC ou Helmut Lang, se meuble design, s’éclaire à la bougie et mange végétalien. Malgré toutes ses qualités et son charme nordique, on n’aurait pas trop envie de sortir avec Kiss my arp. Parce qu’on se dit que chez Kiss my arp, on ne doit pas rigoler tous les jours. Il n’y a qu’à voir sa discothèque : Björk, LFO, Portishead, Mezzanine, Tindersticks, Cranes, Cocteau Twins, Nico. Du sérieux. Chez Mo’Wax, son label, on vanne gentiment Kiss my arp en le traitant de gothique, ce à quoi il répond pince-sans-rire que lui ne se maquille pas. Kiss my arp, c’est le gothique sans les gargouilles, la ligne pure de la pierre froide. Comme Björk sur Homogenic, Andrea Parker a cherché à marier les cordes et les machines, mais les résultats diffèrent. Contrairement à ce que laisseraient penser leurs titres, c’est Homogenic le plus extraverti et Kiss my arp le plus monolithique. Cela tient sans doute pour beaucoup aux voix des deux chanteuses : on connaît les acrobaties dont est capable Björk, l’éternel émerveillement de son timbre, tantôt mutin tantôt mutant ; la voix d’Andrea Parker, plus grave, plus raisonnable dans ses évolutions, transforme la moindre syllabe en tragédie et se dépose sur sa musique comme une fine mais solide couche de givre. De l’Islande, Björk nous faisait découvrir l’envers, les volcans et l’eau bouillante prête à jaillir. Andrea Parker, qui n’en est pourtant pas originaire, nous en propose l’endroit, les glaciers : quelques minutes suffisent à faire se matérialiser devant nous un paysage calme, froid, désert et beau, perdu (Lost luggage), inconnu (The Unknown), au milieu de nulle part (Going nowhere), filmé en longs plans-séquences, noir et blanc, grand angle et ciel bas. Sous la voix affleurent les cordes, comme des rivières s’écoulant sous leur surface figée, et les beats, chaos de cailloux roulés par le courant. Du Warp baigné dans du 4AD. Kiss my arp est bourré de bonnes idées (Clutching at Straws, Elements of style), il fascine, mais à cause de la distance quasi infranchissable introduite par le parti pris esthétisant d’Andrea Parker, on ne s’y attache jamais vraiment. Et, finalement, on reste sur le seuil de ce disque, à méditer un peu déconfit sur la différence entre aimer et admirer.
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