Félins et nonchalants, les jeunes Kid Bombardos règlent
depuis Bordeaux le conflit entre rock US et pop anglaise. Critique et écoute.
Avant même la première note en 2009, avant que la première de ces guitares vintage se mette à vociférer avec éloquence et gouaille, on savait. On était certains que les Kid Bombardos n’étaient pas venus dans le rock en touristes, en badauds, en frimeurs bientôt ailleurs. Ils possédaient cette grâce, cette félinité, cette morgue (ou plutôt : elle les possédait) que ne peuvent décemment porter, comme les cuirs usés et les lunettes de soleil la nuit, que ceux qui savent, méritent : nés dedans, sans poses, sans plan B, sans ticket de retour.
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Au départ, il y avait bien entendu plus d’attitude que d’aptitude : mais ils tenaient déjà une chanson sur laquelle tout pouvait se construire, I Round the Bend. Les Kid Bombardos étaient un fantasme, une oeuvre romanesque, le best-of d’un livre d’images du rock : des gueules à être shootées par Mick Rock, croquées par Guy Peellaert. D’ailleurs, le groupe a débuté dans un livre : celui de leur oncle, qui les mettaient en scène, musiciens en vrac, en rage et en chasse, avant même qu’ils ne jouent.
Qu’on ne s’étonne donc pas, à côté de tentations bien de leur âge (des Strokes pour la voix et de The Coral pour la nonchalance branleuse), de retrouver dans ce rock des références beaucoup trop vieilles pour eux. Des pochettes MILF, en somme, de vieux vinyles familiaux, dans lesquels on pense reconnaître Velvet, Gun Club ou Modern Lovers. Car ce premier album se moque bien des guéguerres antiques entre pop anglaise et rock américain : il joue de la pop avec ce détachement hautain des New-Yorkais, du rock avec cette vieille classe mélodique des gouapes de Manchester ou de Glasgow.
Chez Kid Bombardos, le blues peut ainsi devenir un argot de Liverpool, le rockabilly une invention de Camden – ou le skiffle un patois de Nashville, les vols (qualifiés) transatlantiques opérant ici dans les deux sens. Etranges chansons, à la fois crâneuses et humbles, souillons et précieuses, à l’exemple d’un Sundays susurré tout en roublardise dans un seul but : faire danser les filles.
La voix de crooner malin de Vincent Martinelli est ce que Dutronc appelait un piège à filles : on la soupçonne de postillonner des phéromones phénoménales. Elle se traîne, aguiche, se languit dans les voyelles longues en bouche, caresse quand autour, le groupe tabasse, nerveux, sec, précis. Une telle connivence, comme autrefois chez les Kings Of Leon ou les Kinks (deux influences possibles, dont on ne souhaite pas le destin sinistre aux Bordelais), ne peut être qu’histoire de famille : ici trois frangins dandys salopés plus un copain devenu Martinelli comme eux, sans espoir de sortie.
Hymne à l’adolescence gâchée ensemble, à rêver ensemble de mythes et de vinyles, à ressasser ensemble les histoires et prédire l’avenir sur les routes, Kid Bombardos incarne une très belle et romantique vision de la fugue. Et quitte à fuire en avant, autant le faire en courant, avec cette urgence de ceux traqués par l’âge adulte, mais aussi la désinvolture des tireurs de sonnettes. Une de leurs chansons s’appelle Running for Time et c’est tout cet album, bluffant, qui cavale contre la montre.
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