L’époque est torturée ? La Tunisienne Deena Abdelwahed lui voue donc un premier album vaudou, offrant au passage quelques pistes pour bâtir l’avenir de l’electro hors de l’Occident.
”Pour me mettre la pêche, je me passerais plutôt un track de Beyoncé, pas cet album !”, s’amuse Deena Abdelwahed, dont le premier lp transpire de noirceur et de pessimisme quant à l’avenir de son pays d’origine et du monde en général. “J’ai voulu me dire que ça allait le faire, mais la Tunisie s’enfonce, ça pourrait être le Venezuela demain.” D’où ce Khonnar (plus ou moins le “côté obscur” en tunisien) lourd et politique, qui dresse un sombre état des lieux des temps modernes à travers les yeux d’une jeune queer.
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Khonnar, un militantisme entier
Le féminisme ? “Il doit être radical, le patriarcat, on nous l’a pas enseigné par consensus mais à coups de chaussures, donc il faut faire pareil.” La cause queer ? “Elle avance peu, malgré le travail d’associations locales. En voulant abroger une vieille loi coloniale permettant les fouilles anales, les militants LGBT tunisiens l’ont fait découvrir à la police, qui en abuse désormais sur toute personne qu’ils jugent gay. Plein de familles croient toujours que Dieu les maudira si un de leurs membres est queer, et répandra le chaos dans leur vie. C’est déjà le chaos au bled de toute façon !”
« Je ne fais pas de musique pour montrer aux Occidentaux qu’on n’est pas des bédouins »
C’est de cette réalité que se nourrissent les orages de l’album Khonnar. Elle lui donne une dimension militante parfaitement assumée qui la rapproche aussi des factions les plus excitantes de l’electro contemporaine (le discours queer et décolonial de la trilogie Non Worldwide vient à l’esprit). “Aujourd’hui, même des producteurs qui n’étaient pas politisés se mobilisent, s’enthousiasme Deena. Chacun le fait à sa manière. Je discutais avec Nene H (productrice turque – ndlr) : on a le même message, mais elle le fait de manière frontale, elle le gueule. Moi, j’aime quand même la vie, la danse, les femmes, donc ça passe mieux !”
Pas de mouvement electro arabe, plutôt des initiatives personnelles
Khonnar est le prolongement d’une quête musicale précise, celle d’une electro arabe futuriste, entamée dès son premier ep en 2016, puis creusée par deux ans de tournée, alors que Deena est désormais aux platines du célèbre club Concrete à Paris en tant que résidente. Proche à ses débuts d’un collectif tunisien orienté dub (World Full Of Bass), la productrice a lutté avant d’affirmer sa passion pour le juke, le footwork ou l’idm. Malgré l’activisme d’Arabstazy, autre collectif né depuis, aucun mouvement d’electro tunisienne n’a encore pris selon elle, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre ses recherches artistiques, loin des fusions orientalistes qui encombrent encore le paysage. “Comment fait-on du moderne sans être ‘occidental’ ? Qu’est-ce qu’être ‘moderne’ ou ‘occidental’ d’ailleurs ? Personnellement, je ne fais pas de musique pour être ‘fière d’être tunisienne’ ni pour montrer aux Occidentaux qu’on n’est pas des bédouins. Comme l’a observé Zyad (de World Full Of Bass – ndlr), tout producteur maghrébin qui joue avec les codes de l’electro ‘occidentale’ finit par faire ressortir des motifs arabes ou orientaux dans ses sons, même de la manière la plus naïve qui soit. Il n’y a pas de mouvement electro arabe pour l’instant, plutôt des initiatives personnelles.”
Un soldat aux nuances electro
Celle de Deena prend pour l’instant la forme d’une electro aux accents doom et indus, comme si l’esthétique des labels Blackest Ever Black ou Halcyon Veil s’était inspirée des influences arabes. Mais, moins que l’étendard d’un quelconque courant (“je me vois plutôt comme un soldat, sûrement pas comme une icône”), Khonnar voit surtout naître une artiste ambitieuse aux idées tranchées.
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