Signé chez Dr. Dre, le nouveau héros de la West Coast s’appelle Kendrick Lamar. Il ne possède ni le son, ni les codes conformes à la filiation gangsta, ce qui n’est pas plus mal. Il joue à Paris cette semaine.
Lorsque l’on vient de Compton, charmante bourgade peuplée de cadavres au coeur de L. A., servir autre chose que du gangsta-rap est un peu contraire à la bienséance locale. Depuis le début des années 90, les résidents N.W.A, Dr. Dre, DJ Quik, MC Eiht ou The Game – comme les gangs locaux qui flinguent en pleine rue – ont balisé le terrain avec un tel aplomb que plus rien d’autre ne semble pousser sur ce terreau bousillé qu’un déferlement de haine gangsta.
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Né il y a vingt-cinq ans au cœur du chaudron, Kendrick Lamar Duckworth s’est pourtant inventé une autre voie. Après des débuts classiques sous le nom de K.Dot, noyé dans la masse des kids de Compton qui singent les parrains, c’est sa mixtape Overly Dedicated qui officialise en 2010 cette nouvelle direction artistique, personnelle, racée.
Un souffle paisible au milieu des coups de feu, quelque chose d’organique et d’assoupli, des instrumentations emplies de soul et de mélancolie qui le rapprochent des voisins Hieroglyphics ou Jurassic 5 plutôt que des bandits de Compton.
Section.80, un des plus beaux albums de rap de 2011, précise le tir : armé d’une vantardise cool qui ne prend jamais le dessus, Kendrick Lamar rappe avec l’assurance discrète de ceux qui n’ont pas besoin d’en faire trop. Ses textes bien troussés, sa voix doucement poussiéreuse et sa diction fluide cristallisent avec classe les émois d’une marmaille moderne sur Ronald Reagan Era ou sur le manifeste mystique HiiiPower. Un univers de larmes et de dollars, de flingues et de roses, que saisit le titre de son prochain disque, Good Kid in a Mad City (“Un bon gars dans une ville de dingues”).
Autour de lui, le crew Black Hippy étend ces clameurs. Schoolboy Q, Ab-Soul et Jay Rock donnent avec Kendrick un nouveau souffle à la West Coast, dépoussiérant le gangstarap traditionnel. Un des potentiels créatifs les plus éclatants du moment, dont Dr. Dre, en coma artistique depuis des lustres, vient de s’arroger la fraîcheur en signant Kendrick sur le label Interscope.
The Recipe, fruit de cette collaboration, sonne plutôt bien, mais le mouvement est hasardeux pour le rappeur. Dans le monde de Dre, on rase gratis, on marketise, on industrialise et on fomente des “coups”, quand on ne laisse pas dormir les projets dans les cartons… Tant de rappeurs en ont fait les frais. Constants, mesurés et stylés, Lamar et ses black hippies demeurent une des plus belles choses qui soient arrivées au rap, le fruit éclatant d’un modernisme libéré des figures imposées et de la pression des anciens.
Lamar est le mec de Compton qui personnifie, comme Odd Future et Overdoz à quelques kilomètres de là, ou l’A$AP Mob à New York, une génération d’artistes qui ont appris le rap sur YouTube plutôt qu’à travers les discours prétentieux des catéchistes. De jeunes loups (dés)orientés par la richesse artistique du web, pour qui New York n’a jamais été le poumon du rap, pas plus que Houston ou L. A. Une génération qui est en train de tuer le père.
Concert : le 28 juin à Paris (Bataclan)
Album à venir : Good Kid in a Mad City (Aftermath/Universal)
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