Kendrick Lamar, Drake et Beyoncé ont tous choisi de sortir un album surprise. Une petite révolution dans la manière de vendre son disque ?
Se réveiller, humer l’air en se connectant sur ses comptes Twitter et Facebook et sentir que quelque chose a changé dans la nuit. C’est arrivé deux fois en ce début de l’année 2015 : d’abord avec Drake et sa mixtape surprise If You’re Reading this, it’s Too Late, puis grâce à Kendrick Lamar qui a avancé d’une semaine la date de sortie de To Pimp a Butterfly. « Pulling a Beyoncé« , du nom de l’initiatrice du mouvement fin 2013, revient à sortir un album en sautant l’étape – pourtant sacrée – de la promotion. La stratégie n’a pas été inventée par ces trois là, mais les exemples se multiplient ces derniers mois, et avec, à chaque fois, un record à la clé : lundi dernier, Kendrick Lamar a généré 9,6 millions d’écoutes sur Spotify le premier jour de sa sortie. Du jamais vu. Hasard ou tendance momentanée, l’anti-promo s’imposerait-elle comme la nouvelle promo ?
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Très vite, très fort
C’est un sacré risque de court-circuiter l’étape qui consiste à exciter la foule en amont en sortant des informations au compte-goutte : « Classiquement, il faut susciter le désir d’expérience » explique Guillaume Sire, maître de conférence à l’Institut Français de la Presse, « parce que c’est très rare d’acheter un album dont vous n’avez entendu aucun extrait, il faut donc quelque chose qui vous en ait donné la valeur, l’utilité pour déclencher l’acte d’achat. » Zéro promo, et pourtant, les gens se précipitent sur ces album balancés sans préliminaires sur la toile : décembre 2013, Beyoncé écoule 430 000 albums en 24h aux Etats Unis, établissant au passage un record de vente sur iTunes Store. Quant à If You’re Reading This, It’s Too Late de Drake, il a battu un chiffre détenu depuis plus de cinquante ans par les Beatles en plaçant 14 de ses chansons dans le top 100 de Billboard. Bingo, des ventes records sans avoir quasiment dépensé un centime en promo – Drake s’est contenté de diffuser une vidéo énigmatique (Jungle) quelques heures avant.
http://www.youtube.com/watch?v=0lKH5dMNcq0
Casser internet
L’absence de communication devient alors une manière de communiquer. « C’est la stratégie du silence, » résume Guillaume Sire, « on peut ramener ça aux interactions classiques : celui qui ne parle pas est celui qu’on veut écouter. ». En misant sur une sortie unique et sans annonce, l’artiste évite de diluer l’excitation, parce qu’à force de sollicitations, le consommateur finit par se lasser. En misant uniquement sur les réseaux sociaux, les fans et les critiques s’emballent. Avec la sortie de son album BEYONCE, Queen B a généré 1,2 millions de tweets (!) à travers le monde en 24 h. Dans une époque d’extrême transparence, la prouesse consiste donc à garder le secret : les moindres faits et gestes de Beyoncé ont beau être épiés, la chanteuse a quand même réussi à enregistrer et sortir un album sans que personne ne s’en doute.
Beyoncé drops an album unannounced at midnight and overnight becomes #1 album in 72 countries #QueenB — go away (@sexglitter) 17 Décembre 2013
Bouder le single
Le risque serait alors que cette stratégie du silence soit là pour masquer le vide d’un album fait par des artistes puissants mais usés : « la stratégie de vente devient l’argument principal, et on écoute l’album en dehors de toute logique qualitative » explique l’universitaire. Sauf qu’il ne s’agit pas de Katy Perry, mais de Beyoncé, Kendrick Lamar et Drake dont les disques ont été à chaque fois salués par la critique. Et s’il s’agissait moins d’un enjeu économique qu’artistique ? Comme si ces immenses stars refusaient de devoir faire la danse du ventre en harcelant les téléspectateurs pour les atteindre. Comme si la promo était le sceau d’une musique commerciale, qui a besoin d’effervescence pour glaner la moindre attention.
KENDRICK IS AN INSPIRATION. THANK YOU FOR THE VIBRATIONS AND THE SPIRIT. YOUR MEANING, MESSAGE AND EXECUTION ARE GIFTS TO THE WORLD.
— KANYE WEST (@kanyewest) 17 Mars 2015
Teasers et singles chancellent
Si cette stratégie fonctionne, on imagine difficilement qu’elle devienne un recours systématique. Tous les artistes ne peuvent évidemment pas se le permettre et l’hystérie autour d’un album surprise n’existe que s’il y a une attente. La plupart des artistes ne peut évidemment pas se permettre d’esquiver la tournée des plateaux télé et radio, de titres touchés par la grâce du single – la preuve, en ce moment avec Passion Pit qui mutliplient les clips de quelques secondes selon un agenda minutieusement pensé.
Kanye West a, lui, adopté pour une technique hybride : il égraine ses titres chaque semaine, donne des interviews, mais refuse de donner une date précise de sortie. « De toute façon, si tout le monde se met à ne plus annoncer son album, ça ne marchera pas. » conclut Guillaume Sire « Il faut que ce soit une réaction à la norme. Et c’est d’ailleurs en ce sens que ce n’est pas une révolution. La vraie révolution, ce serait de ne plus sortir d’album et de ne jouer sa musique qu’en live par exemple. » Radiohead, tu nous entends ?
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