Cofondateur du Clash et de Public Image Limited, le guitariste, héraut de l’après-punk, est mort à l’âge de 65 ans des suites d’un cancer.
Rien n’étant plus ardu que de parler du style d’un musicien quand on ne l’est pas soi-même, hasardons-nous à faire usage d’une épithète cinéphilique pour définir celui du guitariste Keith Levene qui vient de disparaître à l’âge de 65 ans des suites d’un cancer : hitchcockien. Deux références suffiront pour en justifier l’emploi. Le son de sa guitare évoque les stridences qui accompagnent la scène de meurtre dans la douche de Psychose, mais aussi l’attaque des mouettes dans Les Oiseaux.
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D’ailleurs le morceau qui ouvre Metal Box, indispensable second album de Public Image Limited et tout à fait représentatif de son jeu lardé de riffs suraigus absolument unique, s’intitule, fait exprès, Albatross. A la manière d’un personnage de thriller, Keith Levene aura ainsi trucidé avec une rare application tout ce qui résistait encore du rock anglais à l’ancienne au milieu des années 70 dès lors qu’il apprivoisa la six cordes, sur laquelle régnait la veille encore des virtuoses bavards aux solos éprouvants.
Héraut de l’après-punk
Fondateur de Clash avec Mick Jones, puis de Public Image Limited avec l’ancien chanteur des Sex Pistols, John Lydon, Keith Levene a été à la fois l’un des précurseurs du mouvement punk avant d’en certifier parmi les premiers l’obsolescence. Un éclaireur en somme dont la disparition met tristement en lumière un certain manque de reconnaissance au regard de son immense influence.
Mais avant que Julian Keith Levene, né en 1957 dans le quartier londonien de Muswell Hill si cher à Ray Davies des Kinks, ne devienne l’un des musiciens les plus identifiables à l’oreille de la scène punk et new wave, il lui a fallu emprunter un itinéraire presque à contre sens. A l’adolescence, le jeune homme devient en effet roadie de… Yes, fer de lance de ce rock progressif aux assommantes digressions instrumentales. Non par nécessité mais parce qu’il est un fan du guitariste Steve Howe. Apprendre que Tom Waits se réclame de Maria Callas ne saurait nous plonger dans plus grande perplexité, avant qu’on ne finisse par déceler une certaine cohérence dans cet engouement, Howe symbolisant cette rupture définitive avec l’héritage du blues américain si prégnant outre-manche au profit de cette conquête de l’inédit qui restera une constante chez Levene.
Devenu l’aide de camp du batteur de Yes Alan White, avec pour mission de nettoyer ses cymbales avant chaque concert, il fait la connaissance d’un certain Mick Jones en passe de quitter les London S.S. pour fonder Clash. À ce stade les London S.S. s’apparentent à la matrice d’une partie de la scène punk londonienne engendrant Clash mais aussi les Damned et Generation X. Au printemps 1976, c’est Levene qui persuade Joe Strummer de quitter les 101ers, groupe de pub rock sans avenir, pour rejoindre la formation ébauchée avec Jones dans un squat de Shepherd Bush qu’occupe un peintre obsédé par Jackson Pollock, Paul Simonon. C’est dans ce squat qu’ont lieu les répétitions de cet agrégat qui après s’être appelés The Psychotic Negatives, puis The Weak Heardrops, devient Clash avec le renfort du batteur Terry Chimes et du peintre Simonon, qui entre temps a lâché les pinceaux pour la basse.
De Clash au crash
Le passage de Levene au sein de Clash sera néanmoins très bref : à peine trois mois. Après un concert au Roundhouse, il affiche déjà son désintérêt, néglige les répétitions. Au point de se faire virer après avoir quand même apposé son sceau sur certains titres dont le What’s My Name du premier album. “Mick (Jones) était content : Keith et lui étaient en compétition pour savoir qui tiendrait la lead guitare”, souligne Strummer dans le England’s Dreaming de Jon Savage, tout en s’inquiétant de la consommation frénétique de speed de l’exclu.
Donnée hélas confirmée par une scène du film de Don Letts The Punk Rock Movie où on le voit se faire un shoot dans les toilettes du Roxy Club. Est-ce la raison expliquant sa faible contribution à l’éclosion du punk compte tenu de son talent ? Ou, corrélativement, l’ennui de ne trouver dans le punk qu’un mode d’expression par trop exigu pour s’y épanouir ? Au fond, n’attendait-il pas “le coup d’après” ? Toujours est-il qu’il rejoint une autre de ces formations matricielles, The Flowers of Romance, qui à l’instar des London S.S. ne concrétisera absolument rien mais dont certains membres essaimeront ailleurs, comme Viv Albertine et Palmolive des Slits, Marco Pirroni et Kenny Morris de Siouxsie and Banshees ou encore Sid Vicious des Sex Pistols. Il faudra attendre la dissolution de ces derniers en janvier 1978 après une chaotique tournée américaine et le complet reset du chanteur, quittant la défroque de Johnny Rotten et réintégrant sa véritable identité de John Lydon, pour voir le guitariste devenir enfin un héros.
Public Image Limited, la (re)naissance
La relation entre Levene et Lydon se forge de passions communes. Leur dévotion envers la musique jamaïquaine, le dub surtout, pour commencer. Entre aussi en ligne de compte leur volonté de signifier la fin du punk. “À l’origine, Public Image était né du désir de Lydon de répudier le rock’n’ roll trash à la Sex Pistols indique Jah Wobble, bassiste du nouvel attelage. Il était littéralement obsédé par le dub alors que Levene avait raffiné son jeu de guitare pour obtenir un véritable barrage sonore. C’était du post punk, résolument expérimental.” A Gunter Grove, la vaste demeure que Lydon a acheté devient alors un véritable laboratoire affecté à la déconstruction. On y écoute en masse du dub mais aussi Captain Beefheart, Can, Peter Hammill, soit la meilleure bande sonore possible du “monde d’après”.
On y vit aussi sous l’urgence des amphétamines, ce qui fera dire au réalisateur Don Letts que ça ressemblait de plus en plus à la maison de la famille Adams. Sur fond de rondeur toute jamaïquaine due à la basse de Wobble et de stridences extrêmes émanant de la guitare de Levene, s’élève la voix terrifiante de Lydon qui n’est vraiment pas un chanteur, plutôt un imprécateur, un lanceur d’anathèmes. Le prouvent les bastions de ce premier envoi – First Issue (1978) – comme Religion ou Low Life posant les fondations de tout ce que l’on va désormais étiqueter, parfois à tort et à travers, “new wave”. Suivront deux autres albums dont le monumental Metal Box, édité comme son nom l’indique sous boite en fer identique à celles qui abritent les films, où la musique est aussi étouffante que libératrice. Un conflit au sujet de la production du quatrième album, d’abord intitulé Commercial Zone puis What You Want… This is What You Get, mettra un terme prématuré à la collaboration entre Lydon et Levene. Ce dernier s’offrant quand même le plaisir revanchard de faire paraître en 1984 les chansons de l’album dans leur habillage initial regroupées sous le titre original du disque.
Certes le reste de son parcours – un exil à Los Angeles, des collaborations avec les Red Hot Chili Peppers, les rappeurs Ice T et Tone Loc, un album, Ying Yang, en 2012 avec Jah Wobble – resteront bien en deçà de son potentiel. Pourtant Levene aura quand même réussi à imprimer dans l’histoire quelque chose de définitif, quelque chose qui le range dans la catégorie des guitaristes rock ayant contribué à un changement radical d’époque au même titre que James Burton, Ron Asheton ou Sterling Morrison.
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