Epuisée par New York et une rupture amoureuse, Kazu a trouvé refuge sur l’île d’Elbe. Sensible et serein, son premier album émerveille.
On doit bien avouer qu’on aurait adoré la rejoindre sur l’île d’Elbe, où elle vit maintenant une partie de l’année tout en gardant son pied-à-terre new-yorkais. Kazu Makino nous a plutôt proposé de la retrouver à Milan, l’une des villes les plus puissantes de la Renaissance italienne – un lieu parfaitement approprié pour évoquer sa propre renaissance. Dans l’arrière-cour d’un palais situé juste en face du monastère qui abrite La Cène de Léonard de Vinci, Kazu arrive en courant, à bout de souffle, ses longs cheveux magnifiquement désordonnés, et se répand en excuses pour ses quelques minutes de retard.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Elle se pose dans un fauteuil, et Colette, son petit chien, s’installe à ses pieds. La chanteuse tourmentée de Blonde Redhead, qui a longtemps préféré se dissimuler derrière ses mèches brunes, semble métamorphosée : regard pétillant et droit, lèvres souriantes, peau dorée par le soleil et caressée par les embruns de son nouveau port d’attache. En un mot : épanouie. Difficile de croire que cette naïade fêtera en fin d’année son cinquantième anniversaire.
Une échappée solitaire en toute liberté
“Il y a deux ans, j’ai décidé de quitter New York pour des raisons de santé, raconte-t-elle avec le petit accent japonais qui ne l’a jamais quittée. Là-bas, j’avais en permanence des problèmes aux poumons et aux yeux. J’aurais pu choisir un autre endroit plus proche qui aurait un air sain, mais quelque chose m’a attirée vers l’île d’Elbe. Après tout, je viens moi-même d’une île, le Japon, et j’ai toujours aimé cette sensation de protection que me procurent les îles, un isolement agréable, la proximité de la mer, cette énergie minérale et volcanique qui y circule…”
Sa découverte de l’île italienne remonte au début des années 1990 : “Je venais juste de faire la connaissance d’Amedeo (Pace, l’un des jumeaux italiens qui constituent avec elle le trio Blonde Redhead – ndlr) à New York et je suis tombée amoureuse. Quand je suis rentrée au Japon, on a correspondu et il m’a proposé de venir le rejoindre sur l’île d’Elbe, où il était musicien saisonnier pendant tout l’été. J’y suis allée, et c’est là que j’ai commencé à jouer avec les jumeaux. Dès notre retour à New York, on a formé Blonde Redhead. Cette île est donc liée à des souvenirs fondamentaux pour moi. J’ai voulu y retourner, seule cette fois.”
La décision de se lancer dans un premier album solo est simplement le résultat des circonstances : Kazu se trouvait en totale autarcie et a soudain eu envie de composer quelques morceaux. Si le processus de préparation d’un nouvel album a souvent été une souffrance tout au long de sa carrière, les étapes qui ont jalonné cette échappée solitaire n’ont été que légèreté, liberté et fantaisie. Sans aucune pression, ni jugement extérieur, ni délai à tenir, Kazu se permet toutes les expérimentations et n’a rien à envier à Björk dans ce domaine.
Les neuf chansons qui en résultent fourmillent de cet élan juvénile. “Je me suis autorisée à être égoïste, à tenter des idées idiotes. Les jumeaux ont constamment encouragé ma créativité, mais j’ai toujours eu peur de ne rien pouvoir composer sans eux. Je me suis toujours vue comme une personne pessimiste et fragile, par rapport à eux. Je crois que c’est pour ça que ça m’a pris autant de temps avant d’envisager un album solo. Quand j’ai enfin pris le temps de regarder au fond de moi, j’y ai trouvé une force que je ne soupçonnais pas.”
Son bien-être fait plaisir à voir et à entendre
Humble et intimiste, entre dream-pop et pop électronique, Adult Baby est un album d’une douceur songeuse. Du morceau éponyme au single Salty, du touchant Meo au conclusif Coyote, certains passages orchestraux grandioses viennent exalter la simplicité ambiante. Pour accompagner les claviers et la voix évanescente de Kazu, quelques invités plaqués or se sont joints à elle : le percussionniste brésilien Mauro Refosco, le batteur Ian Chang, le producteur Sam Griffin Owens, sans oublier l’immense maestro japonais Ryuichi Sakamoto. Le titre du disque est aussi celui que Kazu a choisi quand elle a fondé son propre label. Ce sera aussi le titre d’un film d’Eva Michon, pendant visuel de l’album et actuellement en pleine finalisation.
L’expression “adult baby” désigne le désir de certains adultes, hommes de pouvoir parfois, d’aller dans des clubs où ils se font infantiliser. Kazu sourit à l’idée de ce phénomène et explique qu’elle aime les différentes interprétations de ces deux mots. “J’ai entendu cette expression il y a des années et elle m’a beaucoup intriguée. En faisant cet album solo, je me suis moi-même sentie comme un ‘bébé adulte’, comme si j’avais la mentalité d’un enfant. ‘Adulte’, ça veut aussi dire ‘porno’ parfois. J’aime bien cette ambivalence.”
Désormais séparée d’Amedeo Pace (mais ils restent en bons termes), Kazu s’est ressourcée sur l’île d’Elbe et son bien-être fait tellement plaisir à voir qu’on se demande pourquoi elle ne s’y installerait pas définitivement. “C’est vrai… Je suis en transition en ce moment, je n’ai pas encore tranché. J’ai besoin de retourner à New York de temps en temps et c’est pratique de garder mon appartement sur place. On a commencé à enregistrer le prochain Blonde Redhead, on en a déjà fait environ la moitié. Après avoir été seule, j’apprécie encore plus ce que j’ai la possibilité de faire à leurs côtés.” Son timbre spectral n’a pas fini de nous envoûter.
Album Adult Baby (Adult Baby Records/Differ-Ant)
Concert Le 22 novembre, Paris (Les Etoiles)
{"type":"Banniere-Basse"}