Influence considérable sur la pop actuelle,
Kate Bush dépasse ses héritières avec un nouvel
album qui parle de neige. Un des sommets de 2011. Critique et écoute.
Elle appelle de chez elle, comme une vieille copine. Pas d’attachée de presse ou de manager pour établir la liaison et dresser ne serait-ce qu’un petit barrage protocolaire entre elle et nous. Au bout du fil, une voix de petite fille gourmande que l’on n’imaginait pas appartenir à l’une des grimpeuses d’octaves les plus célèbres du royaume d’Angleterre.
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Beaucoup d’idées fausses ont longtemps couru à propos de Kate Bush. On la présente généralement en diva recluse dans un manoir du Kent, soeur Brontë d’adoption un peu foldingue depuis son ascension des Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights, premier single en 1978). Si Kate Bush, comme les personnages de son roman fétiche, vit “à l’écart de l’agitation mondaine”, si elle accorde rarement des interviews et ne monte plus sur scène depuis plus de trente ans, elle n’a rien d’une pimbêche du style Mylène Farmer qui cultiverait de faux mystères dans le jardin ultrasecret d’une âme artificiellement tourmentée.
Elle est au contraire une charmante personne qui s’étonne elle-même du statut qui est le sien aujourd’hui en Angleterre, où la presse musicale sérieuse la considère comme l’équivalent féminin d’un Brian Eno, une défricheuse perpétuelle des continents les plus complexes de la pop-music. Ici, on la connaît surtout pour une poignée de tubes (Babooshka en 1980, Running up That Hill en 1985, son duo avec Peter Gabriel, Don’t Give up, en 1986).
Mais une fois traversée la Manche, elle est l’un des trésors nationaux les plus précieux et un sujet d’étude perpétuel pour les musicologues les plus pointus. Sa descendance, de Björk à Joanna Newsom, de Florence And The Machine à Bat For Lashes en passant ici par Emilie Simon, témoigne par ailleurs de la grande fertilité de celle qui fut l’une des premières “femmes studio”, en symbiose quasi organique avec les technologies qui ont bouleversé la donne musicale des trois dernières décennies.
Longtemps pourtant, elle a joué les grandes absentes, laissant filer plusieurs époques, publiant des albums moins convaincants jusqu’à la renaissance de Aerial, sa double fresque panthéiste de 2005. Et puis, cette année, elle qui d’habitude ne sortait de son silence qu’une fois par décennie a enchaîné deux albums. Tout d’abord Director’s Cut en mai, une relecture moyennement inspirée d’anciens titres déjà plutôt anodins des albums The Sensual World (1989) et The Red Shoes (1993).
Et surtout, aujourd’hui, 50 Words for Snow, opus majeur ayant pour sujet unique la beauté cotonneuse de l’hiver et le charme troublant des étendues neigeuses. “Vous en conviendrez, plaisantet- elle, il aurait été anachronique de sortir cet album au printemps. C’est la raison pour laquelle je me suis appliquée à le terminer aussi vite. J’habite à la campagne et nous avons connu plusieurs hivers assez neigeux. J’ai retrouvé ce plaisir enfantin de faire des bonhommes de neige, j’ignore la raison pour laquelle cette atmosphère m’a soudainement inspirée, en tout cas tout est allé très rapidement.”
Une fulgurance d’exécution qui contraste avec la lenteur et la sérénité d’un disque dans lequel on s’installe pour longtemps, calfeutré dans ses longues étendues de piano et dans ses climats langoureux ponctués de silences merveilleusement habités. “Le son de la neige qui tombe est une forme suprême de silence, un silence extrêmement expressif que j’ai cherché à reproduire.”
On n’y trouvera pas les acrobaties vocales qui ont fait sa réputation, car, dit-elle “ce ne serait plus très sérieux à mon âge de tenter ce genre de choses”. Elle préfère désormais étalonner sa voix sur la beauté engourdie de sa musique. En revanche, visiblement travaillée par l’idée de capturer les choses éphémères, c’est à la belle voix de contre-ténor de son fils Bertie qu’elle abandonne les premiers mots de l’album : “Sa voix est en train de changer, un peu comme la neige qui est appelée à fondre, aussi il fallait la saisir pour en conserver la trace.”
Des chanteurs classiques partagent aussi le micro, mais également Elton John sur un titre et, plus étonnant, Andy Fairweather de Low, qui l’accompagne le temps du single Wild Man, seul morceau vaguement pop de l’album. Le comédien Stephen Fry égrène quant à lui les fameux “cinquante mots pour dire neige”, autour desquels Kate virevolte enfin, retrouvant un instant les audaces de sa jeunesse. Rappelant souvent l’album solo unique de Mark Hollis, un autre de ces grands randonneurs sonores des années 80 avec son groupe Talk Talk, ce dixième album de Kate Bush – où il est un moment question de l’Himalaya – est parfaitement en harmonie avec son sujet. Un sommet.
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