Son leader l’affirme : Kasabian n’est pas un “groupe ridicule pour hooligans”. La preuve avec un cinquième album qui fusionne rock, electro et hip-hop. Rencontre, critique et écoute.
Tête pensante, producteur, guitariste et songwriter en chef de Kasabian, Sergio Pizzorno est le genre d’individu dont la seule dégaine déclenche une certitude si on le croisait dans la rue : ce type fait partie d’un groupe de rock. Ses premières déclarations correspondent bien à l’habituel mélange de confiance en soi et d’ambition dont les musiciens anglais sont si friands :
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“Je peaufine le son de Kasabian depuis dix ans. J’ai l’impression que ce nouvel album atteint l’essence même du groupe, un langage qui nous est propre. On fait quelque chose que personne d’autre ne fait.”
Pari gonflé mais réussi
Il faut avouer que, sur ce dernier point, il n’a pas tout à fait tort. En tirant partie de la démission des derniers grands groupes made in Britain (Oasis en tête), Kasabian s’est hissé vers les sommets avec de curieux hybrides : le rock belliqueux entre en collision avec des beats electro et une énergie baggy, sur un phrasé hip-hop – un pari gonflé mais réussi, même quand ils s’aventurent vers un psychédélisme seventies ou des comptines rugueuses.
Si leurs deux précédents brûlots fourmillaient d’arrangements inventifs (avec le sorcier Dan The Automator en guise de coproducteur), ce cinquième album surprend par son dépouillement. Il s’intitule 48:13, soit sa durée totale.
“Je voulais me débarrasser d’un maximum de strates et avoir des paroles qui vont droit au but, même si ce n’est pas considéré comme cool d’être honnête – surtout dans le rock anglais. J’ai tenté de créer un univers bien délimité, sans avoir peur de jeter les idées qui ne collaient pas, alors qu’avant la variété des styles me plaisait.”
4:18, 6:53, 48:13 ?
Rester intéressant et touchant après dix ans de carrière n’est pas donné à tout le monde. Kasabian n’évite pas quelques tics, plus amusants qu’agaçants tant ils sont sincères. 48:13 comporte ainsi un passage en spoken word lourdaud de l’artiste Suli Breaks et des textes parfois naïfs. Pendant la conversation, on n’échappe pas à des déclarations d’invincibilité (étonnamment proférées tête basse, en position recroquevillée) ni à des idées farfelues : “J’ai envisagé que le nom de chaque chanson soit sa durée exacte.” On s’imagine alors, en plein concert, crier “6:53 !!!!” et on le remercie de l’avoir finalement appelée Treat.
Sur 48:13, Kasabian rend un hommage vibrant aux héros de sa jeunesse, qui culmine vers le milieu du disque sur ce Treat, où des beats pulvérisés côtoient des riffs implacables et des rythmiques baggy, avant de se métamorphoser en un long trip acid-house. Sergio Pizzorno et Tom Meighan, les deux leaders, ont grandi à Leicester, dans la région des Midlands, pendant les années 80 et 90 – les années acid-house et baggy.
Conquérants pas si lads
Trop jeunes pour les raves, ils ont fantasmé cette scène musicale pour la recréer sur ce long morceau explosif et hypnotique. Leur rencontre sur les bancs de l’école a donné naissance au groupe. Depuis, ils forment un duo complémentaire : d’un côté, le chanteur Tom Meighan, hyperactif, charismatique, grande gueule digne de Liam Gallagher. De l’autre, le discret Sergio Pizzorno, nettement plus réservé et réfléchi dans le civil, qui depuis peu sort de sa réserve sur scène pour faire de l’ombre à son frère d’armes.
Contrairement à ses aînés (des Stone Roses aux Happy Mondays), Kasabian sait se préserver, ce qui explique peut-être sa longévité. Interrogé sur les albums qui ont nourri son éducation musicale, Sergio Pizzorno règle leurs comptes à certains malentendus persistants.
“Ce côté de notre groupe s’est plutôt développé grâce à mon amour pour Kraftwerk, Tangerine Dream, Can, Silver Apples ou Moondog. DJ Shadow a été mon déclic, ensuite j’ai plongé dans le hip-hop, puis dans le krautrock et Boards Of Canada. La plupart des gens ont une mauvaise perception de nous : ce groupe ridicule pour hooligans et lads. Dans la vie, j’aurais peur d’affronter une foule. En concert, je me glisse dans la peau d’un personnage qui veut s’éclater. Il n’y a rien de pire que de voir sur scène des gens qui ne sont pas sûrs d’eux. On préfère une attitude conquérante, ce qui peut être pris à tort pour de l’agressivité ou du culot.”
Devant un timbre de voix et un regard aussi doux, on le croit sur parole.
Concerts le 27 juin à Evreux (Le Rock dans tous ses états) et le 7 novembre à Paris (Zénith)
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