Un printemps yougoslave.
Marija Serifovic remporte l’Eurovision le poing levé, Emir Kusturica lance ses sans-culottes “Unza Unza” à l’assaut de la Bastille pour une mise en scène du Temps des gitans, enfin Goran Bregovic – ex-compère du précédent, avec qui il est brouillé depuis belle lurette pour une affaire de dinars – s’empare du grand répertoire français. Bregovic a lu le livret de 1875, et s’est plongé dans la nouvelle de 1845, promis. “Sans Bizet et Prosper Mérimée, ce projet n’existerait pas”, déclare le Serbo-Croate au costume blanc. Mais le finale de Carmen le laissait froid : un cadavre sur scène ! L’amour et la vraie vie sont bien assez vaches comme ça pour ne pas en rajouter
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A découvrir cette relecture de l’opéra, on se dit que les trois premiers actes du livret ne l’ont pas trop botté non plus. Restait donc le titre. Mais cette Carmen perd un C au profit d’un K. Comme Kragujevac ou Kalashnikov. Oubliez donc l’Andalousie et sa gitane aux yeux de velours. L’opéra de Bizetic se carapate dans les Carpates. C’est de par là-bas (Moldavie ? Sandjak ? Former Yugoslav Republic of Macedonia ?) que débarque Karmen, des rêves d’Occident plein les yeux, une bande de haïdouks moustachus pour cousins et une portion de trottoir italien en guise de salon de réception. L’autre roulait des cibiches, celle-ci travaille des hanches et son mac s’appelle… Ceaucescu. Finale heureux oblige, Karmen trouve l’amour, le vrai, au coin de la rue, et l’affaire se clôt sur un mariage. Résumé ainsi, l’opéra semble moins devoir à Mérimée qu’à Prosper Yop La Boum.
Pari réussi pour Bregovic, ici rebaptisé Brega, à grand renfort d’accordéon, de batterie pétaradante, de cornets tonitruants et de splendides parties de chant tenues par des dames – Carmen Consoli l’Italienne, Vaska Yankovska la Bulgare – dont les voix incendiaires n’ont pas dû fréquenter longtemps les conservatoires. Tenant dans cet opéra le rôle de réceptionniste d’hôtel de passe, Goran Bregovic n’a pas son pareil pour mélanger les clés et brouiller les numéros (d’orchestre) de chambre, citant son répertoire passé, des bribes de Bizet ou des classiques balkaniques tout en trouvant le gimmick qui rend chaque titre flambant neuf et indispensable. Créé en Italie en 2004, Karmen a déjà roulé sa bosse en tournée avant de trouver le chemin du studio d’enregistrement. Si fait qu’aujourd’hui, Goran Bregovic et son Orchestre des Mariages et des Enterrements préparent déjà l’Orfeo de Monteverdi, cet autre classique bien connu du répertoire tsigane…
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