Les jazzmen les plus exigeants se l’arrachent : le jeune guitariste béninois LIONEL LOUEKE publie aujourd’hui un album où il renoue avec ses racines africaines.
Sur une mappemonde, de grands traits relieraient des points éloignés : Cotonou-Abidjan, Abidjan-Paris, Paris-Boston, Boston-L.A., L.A.-New York. Lionel Loueke a posé ses valises dans le New Jersey, à vingt minutes de Manhattan, il y a quelques mois. Mais le musicien a des histoires à raconter qui jalonnent chacune de ces étapes. S’il part cet été accompagner Herbie Hancock pour une tournée mondiale célébrant le succès de l’album River: The Joni Letters – une relecture jazz des chansons de Joni Mitchell, à laquelle le guitariste a participé, récemment couronnée d’un Grammy Award –, Lionel Loueke est surtout fier de son premier album en leader pour Blue Note. Le prestigieux label de jazz a en effet enrôlé le guitariste béninois et permis à celui-ci de retrouver ses mentors en studio.
“Je suis touché de recevoir les encouragements de ces artistes. Je passais des semaines à disséquer leurs disques quand j’étais adolescent.” La voix douce et posée, Lionel Loueke vit cette notoriété avec calme. A 34 ans, son périple a été parsemé d’escales vécues comme autant de paliers à franchir dans sa progression régulière vers la reconnaissance actuelle.
Au Bénin, à 11 ans, Lionel Loueke joue des percussions. Il prend en main sa première guitare à 17 ans et découvre peu après Week-End In L.A., un album virtuose de George Benson dont il reproduit les solos phrase par phrase, “en ralentissant la lecture du disque pour comprendre ce qui se passait, se souvient-il. Dix-sept ans, c’est tard, mais les années d’avant comptent : j’avais appris à écouter et cela m’a aidé au moment de travailler l’instrument. J’avais déjà emmagasiné pas mal d’informations.” En 1990, c’est le départ pour Abidjan et son Institut national des arts : “Le seul endroit en Afrique de l’Ouest où je pouvais étudier la théorie.” Le jeune homme se frotte alors aux compositeurs classiques, Beethoven, Mozart.
Quatre ans plus tard, direction Paris et l’American School of Modern Music pour trois ans de formation supplémentaire, mais peu d’expérience en live. Pas de jam, la débrouille pour le jeune musicien encore tendre. “Un soir, je suis venu au Duc des Lombards : Philip Catherine jouait. Je lui ai demandé si je pouvais le rejoindre sur scène. A l’africaine, se remémore-t-il. Il m’a répondu gentiment : “On joue nos morceaux, mais pour le finale, pourquoi pas ?” Après quelques minutes, j’ai compris qu’il valait mieux éviter. Je n’avais pas le niveau. Je suis allé le voir à la pause pour le lui dire et suis reparti m’enfermer dans ma chambre bosser pendant des semaines.”
Opiniâtre, Lionel Loueke décroche une bourse pour le Berklee College de Boston. Entre 1999 et 2000, il poursuit son cursus dans ce saint des saints des écoles de musique, avec ses quatre mille élèves venus du monde entier et ses profs prestigieux. “J’ai été marqué par l’ouverture d’esprit qui règne aux Etats-Unis : tout le monde peut jouer avec tout le monde. Pourtant, il n’est pas plus facile de gagner sa vie là-bas.”
Tout le monde ne devient pas professionnel après Berklee, alors Lionel Loueke gagne le droit d’intégrer le Thelonious Monk Institute of Jazz Performance, à Los Angeles. “Ils sélectionnent sur concours un musicien par instrument, et les sept retenus deviennent pour deux ans la formation pilote.” Ses juges ? Wayne Shorter, Terence Blanchard, Herbie Hancock, qui l’engagent dans leurs propres groupes avant la fin de son cursus !
“Je crois qu’ils apprécient ma différence. Je suis retourné au Bénin en décembre dernier. Mes racines sont là-bas. La façon dont je détache les notes, mon phrasé rappelle celui des joueurs de kora. La musicalité, la sonorité de mes solos viennent de là. Toutes ces choses qui expliquent l’identité musicale et que l’on n’apprend nulle part. Dans aucune école.”