Ce cinquième album de Kanye West ne révolutionne pas le hip-hop :
il s’occupe aussi, dans toute sa grandeur, de la pop-music. Critique et écoute.
On ne le sait que trop dans le hip-hop, encore plus qu’au cinéma : “génie” n’est jamais l’abréviation de “générique”, aussi riche et imposant soit-il. On a même appris à se méfier de ces albums de hip-hop aux castings pharaoniques, où l’on s’invite en circuit fermé, entre aristocrates, jusqu’à la consanguinité et donc, la fin de race. Jay-Z, Kanye, Kid Cudi, Pharrell…
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Une jet-set trop intelligente pour céder à ces simples renvois d’ascenseur entre notables du jeu. Eux qui ont tant contribué à l’évolution de l’espèce ne peuvent pas se laisser piéger par la calcification. Même milliardaires dans une tour d’ivoire siglée, ils n’en demeurent pas moins geeks, jalousant d’obscurs francs-tireurs du rap game pour leurs découvertes, leurs cascades : Kanye et Pharrell particulièrement, comme Bowie dans les années 1970 ou Björk dans les années 1990, sont ainsi d’indispensables vampires, piochant dans les avant-gardes la pop-music de demain.
Car il est question de pop-music, futuriste, dingue, instable, dans ce My Beautiful Dark Twisted Fantasy qui bouleverse les acquis largement au-delà des frontières du hip-hop. La présence à bord d’un chanteur rural, le frêle Bon Iver, est d’ailleurs un signe très fort : après avoir découvert, certes tardivement, l’electro (Daft Punk ou Justice ont vite rejoint cet Otan), ces producteurs n’hésitent plus à s’aventurer, avec bonheur, du côté du dépouillement, de la solennité anti-bling du folk – la chanteuse St. Vincent a ainsi été invitée chez Kid Cudi, et il existe de riches remixes hip-hop de Sufjan Stevens.
Le catalogue des samples à l’oeuvre ici en dit long sur les ambitions, mais aussi sur l’ouverture d’esprit de ce cinquième album : de King Crimson à Aphex Twin, de Gil Scott-Heron aux Byrds, ils définissent une immensité des possibles, une terra incognita aux reliefs assez vertigineux – à l’image de ces All of the Lights, Power ou Monster, monstres épiques strictement opposés au minimalisme du précédent album, le patraque et bouleversant 808’s & Heartbreak.
D’une richesse et d’une intensité hébétantes, ce péplum réussit même le miracle, à force d’inventions, de distorsions des règles, de ne pas virer à l’esbroufe, à l’écoeurant, à la démonstration de style ou de force. Dans toute son extravagance, il tiendra show, tout l’hiver.
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